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dimanche 8 décembre 2019

Julien Gué : “De la Mer aux Hommes”


"Manifeste pour 
Tahiti et ses îles"


         Ce 6 décembre 2019 est une grande date pour Julien Gué. Elle conclut presque 20 ans de résidence en Polynésie française et deux ans de "parcours du combattant de la plume" avec la publication de son livre aux éditions l’Harmattan : "De la mer aux Hommes : Manifeste pour Tahiti et ses îles". 


        Un titre significatif pour un peuple méconnu, disséminé dans la vastitude du Pacifique. Métropolitain né au Sénégal, élevé au Maroc, l’auteur est familier de ces communautés minuscules adossées à l’infini des zones désertiques. Du sable à l’eau, juste un pas à franchir. Et qu’y découvre-t-on ? Les héritiers d’une culture, ô combien riche et étonnante, à l’origine d’une science et d’une pratique de la navigation aux étoiles, du surf et du tatouage tant prisés de nos contemporains.

La beauté au cœur (Mangareva)**

Quel impact sur notre façon de voir ? Un total dépaysement dû à leur hospitalité et leur solidarité inénarrable. La fusion entre la couleur et  la nature, le sens de l’intériorité et d’un temps déjà consigné derrière l’insondable du sourire. L’énigme du silence. Le mutisme d’une culture qui peine à reconstruire les valeurs piétinées par l’évangélisation et la colonisation.

         Que reste-t-il d’eux, de leur grandeur et de leur dignité ? Quel baume appliquer sur les blessures, les traumatismes du nucléaire ? Quel espoir de survie face aux conséquences d’un bouleversement sociétal qui a détruit leur fondement originel  ?  


Le dessous des cartes...

           Bien des voies peuvent s’envisager pour appréhender un pays, son peuple et sa culture. Cette contrée ultramarine, aux antipodes de l’Hexagone, est étrangement occultée à ses concitoyens. Aborder un territoire insulaire par la voie maritime n’est pas afféterie d’auteur mais une démarche élémentaire. La réalité insulaire se vit les pieds dans l’eau. Une évidence nommée Pacifique, alizés, récif et lagon qui engendre bien des comportements coutumiers !

          C’est aussi, à travers l’histoire, suivre le sillage des lointains ancêtres autochtones mā'ohi qui ont apprivoisé et peuplé ces terres encore vierges, leur fenua (Mère-patrie), depuis près d’un millénaire. Un moyen de faire le point en revisitant les idées reçues, les pratiques acculturantes que lui ont enjointes les découvreurs occidentaux, navigateurs et colonisateurs de surcroît.

La vie rude des îles au quotidien (Taha'a)**
        Ce n’est pas sans rappeler un certain Diderot tentant, dans son "Supplément au voyage de Bougainville" (1772), de renverser l’image dévoyée de la "Nouvelle Cythère" et des "Otaïtiens", concept instauré par Bougainville dans son récit "Voyage autour du monde" (1769). La Polynésie française ne parvient pas à se débarrasser de ce cliché qui colle à la peau des vahine et à leurs îles.

         Sauf que ces pages et ces photos sont la résultante d’un constant dialogue avec les habitants, leurs chroniqueurs, l’apprentissage de leur cadre de vie et de leur environnement. Une somme de ressentis et de sensations au quotidien.


Du constat... au manifeste

        Ce n’est pas le seul point de vue original que propose le livre de Julien Gué. L’actualité, certaines explosions politiques ou nucléaires, certaine dérive effarante jailli d’un isolement trop palpable, parfois insoutenable, certains phénomènes sociétaux, secouent l’emblème bourré d’exotisme bon marché dont ces archipels océaniens sont  saturés. D’autres éclairages, parfois inattendus, parfois saisissants de beauté, émaillent ce rapide panorama des îles. Car si la menace de submersion ou d’engorgements polluants se profile, le cadre reste attractif et enchanteur. Et si Julien Gué fait œuvre de journaliste, ce n’est pas seulement perception de voyageur qu’il communique au lecteur, mais son attachement, les sentiments partagés avec une communauté qui l’a résolument intégré.

        Notamment cette disposition à la neurasthénie des Polynésiens concrétisée par le terme "fiu", acquis par la langue française en 2017, et qui signifie en tahitien originel : "repu", "désabusé" et bien d’autres vagues à l’âme… Nous sommes loin de l’Eden annoncé ! Et Julien Gué en témoigne au travers de pages bien sombres. Et la grille de lecture qu’il propose se coule à loisir dans les circonvolutions d’une mentalité et d’une philosophie de la vie bien étonnantes.

Julien Gué, 20 ans après... un vrai roman ! ©Monak
    Sur le ton du conteur, l’auteur vous invite de façon alerte à vous plonger au hasard des pages d’un livre de bord, frétillant et coloré comme les poissons du lagon.



Un article de  Monak

Tous droits réservés à Monak. Demandez l’autorisation de l’auteur avant toute utilisation ou reproduction du texte ou des images sur Internet, dans la presse traditionnelle ou ailleurs.

* Fenua : (en tahitien) île, pays, territoire ; terre, séjour des hommes ; terre, domaine, propriété.
** Les photos de Julien Gué qui ont échappé à l’édition…

 Pour vous procurer le livre de Julien Gué, outre les bonnes librairies, le site des éditions L’Harmattan : "De la mer aux Hommes : Manifeste pour Tahiti et ses îles"

Et si le cœur vous en dit, n’hésitez pas à partager vos impressions sur la page Facebook "De la mer aux hommes"… 



samedi 2 novembre 2019

Insulaires "Légendes urbaines"


Téléfiction bien polynésienne


         Sur le thème de ce qui peut s'embusquer en matière de peurs irraisonnées, d'espoirs, et de croyances collectives qui pavent la Polynésie d'aujourd'hui, quatre réalisateurs de Tahiti, réunis par la production Ahi Company, relèvent le défi. Phénomènes inexpliqués et superstitions ordinaires de l'île jubilent grave à l'écran. Un étrange bien familier ! 

           Faits divers, rumeurs ou canulars répandus par des affabulations populaires ou les réseaux sociaux, forgés et implantés dans notre quotidien, participent de ces “Légendes Urbaines” polynésiennes. Insolite, refoulé, irréel, bestial, atrocités, transgressions font ressurgir du champ enfoui de l’occulte, l’épopée sans réponse de notre époque impitoyable. Un événement !

Quand la vallée exsude ses secrets (Etene)
           Production, équipes techniques et artistiques sont strictement locales : s’en dégagent une atmosphère naturellement authentique et la mise en valeur immédiate du paysage, du bâti ou du mode de vie insulaires du Pacifique Sud.

Deux grandes familles d’imaginaire s’y distinguent. D’un côté la bonhomie égratignée par le bizarre, le quotidien qui tout d’un coup bascule dans le monde parallèle de la prémonition : avec Fa’a’apu de Fabrice Charleux et Tapa’o de Maruia Richmond, l’atmosphère se veut résolument solaire. De l’autre, le monde nocturne, sous-jacent et sournois des secrets sibyllins ou inavouables qui nous menacent : avec le monstre dévorant d'Ētene de Toarii Pouira, et la secte maléfique dans Ahutea de Samuel Cuneo-Samy Nine. Ces distinctions ne se prétendent pas catégoriques. Juste pour tenter de comprendre la diversité et les points communs entre ces créations cinématographiques originales.


Des talents, encore des talents...

         Les quatre courts-métrages, qui oscillent entre environ 12 et 15 minutes se succèdent pour s’aligner, en durée globale, sur le format référence de la télévision (soit, 52 minutes). Des condensés donc, qui ont permis aux différents réalisateurs de cibler leur sujet avec des images saisissantes et des 1ers   rôles percutants.

La vahine-tane stigmatisée (Ariioheau in Ahutea)
           Eh oui ! La Polynésie possède de petites bombes d’acteurs... On le savait, mais on n’avait pas vraiment pu l’apprécier : tant les films de la métropole qui viennent se tourner ici, se trouvent obligés de nous farcir de faux Polynésiens dans les grands rôles et des coutumes détournées. Découvrons Bernard Burns, Aimée Guille,  Hinanui Veyssiere, Nanui Namour et Vaea Vanina Lopez qui tiennent la route, dans un registre où l’intériorisation est de rigueur. Ainsi que certaines figures de l’équipe technique, intervenant face à l’objectif : Selelina Pakaina, Marie-Jade Gatto, Maruia…

Quand la menace est piégée (Julien Gué in Fa'a'apu)
           Savourons encore le diapason dramatique d’un certain Edouard Malakai, à la palette sertie d’ombre, d’angoisse et  d’amertume ; et le déchirement, l’audace et la fougue  de Tini Chaulet dans Ētene : tous deux convaincants dans leur personnage à double facette. Quant à Ariioehau Taumihau fabuleux, déchaîné et ingénieux dans son rôle de composition pour cette « Dame Blanche » dans Ahutea, il nous comble. Avec d’autres brèves apparitions qui crèvent l’écran dans les quatre courts-métrages, la fiction polynésienne est bien lotie de valeurs sûres de tous âges...


Des points de vue divers...

         L’atmosphère de chacun des films est vraiment différente… Le point de vue des réalisateurs s’avère très personnel et original. Ce qui constitue un atout majeur pour la conception globale et intensifie l’intérêt du spectateur.

          Fa’a’apu joue l’économie des dialogues, tranchée par le couperet des impromptus mercantiles : silence des acteurs principaux mais intensité de leur expressivité. Magistraux ! Juste une onde de choc entre deux mondes... ponctuée par la fuite du temps, du robinet et la rengaine début 20ème… Tout se joue sur l’apparence de la redite : mais, attention ! danger ! trop tard, l’irréparable est consommé...

Le sort des expulsés (Fa'a'apu en tournage)

           Ētene fait monter la pression à chaque seconde avec l’incompressible fléau social qu’est le viol de deux mineures et cette inconscience collective du monstre qui est en nous. Pas de pardon, la bête immonde est éradiquée. La justice des ténèbres prend le pas sur l’officielle qui se veut plus tolérante ; elle se nomme réparation.

La voix de la conscience ? (Edouard Malakaï & Tini Chaulet in Etene)
          Tapa’o concilie voyance et croyance... dans le contexte religieux spécifique à la Polynésie. Don médiumnique pour le moins déstabilisant puisqu’il touche à l’au-delà, encore faut-il vivre avec... en le sacralisant. Sur un rythme lent, voire ralenti, s’entremêlent signes prémonitoires et  bribes de réalité, paranormal et divination.

         Ahutea concentre sur un scénario signé Selelina Pakaina, une action resserrée où l’imbrication du réel, le canular à la une des cellulaires, la psychose des rites sacrificateurs, met en exergue les victimes du paupérisme ambiant. S’y dévoilent sans tabous le pouvoir masqué de l’argent, l’évidence socioculturelle de la trans-identité ; et avec l’irruption du fantastique la crédulité facile.


Des légendes d'aujourd'hui

           Pour la Polynésie, ces rumeurs incontrôlées sont actuelles, ce qui confère au film, sa dimension profonde. Elles s’ancrent dans les problématiques sociétales qui en caractérisent le quotidien. Les anciens, les matahiapo, aux petits revenus proches du seuil de pauvreté ; la crise du logement à Papeete, les loyers excessifs ; et une qualité de vie révolue pour Fa’a’apu.

La voie de l’au-delà…(Tapa’o)
             On y décrypte aussi, entre autres dérives ou dysfonctionnements sociaux, la manière dont chacun cultive sa paranoïa face aux plus démunis. Le mutisme ou l’aveuglement face aux violences : sur mineurs ou inconnus… le recours rassurant aux superstitions pour se dédouaner du mépris, de l’humiliation sexiste, des atrocités, des pratiques perverses, des crimes, des complots, bien réels ou imaginaires. Elles brouillent le jugement, accentuent l’effet inverse du rapprochement universel par le net et de l’ubiquité des médias, et se soldent par ce clivage qui amplifie l’intrusion des mondes virtuels ou fantasmatiques…

Le chantier des sévices (Ahutea)
               Un sujet inépuisable pour le quatuor Fa’a’apu, Ētene, Tapao, Ahutea, à n’en pas douter. Car il s'en donne à cœur joie avec les effets crus et créations "horrifiques" maquillage de Jad'Art. Ce film présente l’avantage de ne pas nous servir du folklorique à bon marché. De nous initier à la vision esthétique de réalisateurs polynésiens de talent… ainsi qu’à "l’empire des croyances" et de leur réappropriation artistique.


Un article de  Monak

Tous droits réservés à Julien Gué. Demandez l’autorisation de l’auteur avant toute utilisation ou reproduction du texte ou des images sur Internet, dans la presse traditionnelle ou ailleurs.

Et pour vous refaire la "Série Légendes Urbaines" non-stop, cliquez sur ce lien : https://la1ere.francetvinfo.fr/polynesie/tahiti/legendes-urbaines-replays-760785.html
https://www.facebook.com/ahicompanytahiti/videos/740712856402341/?t=16


mardi 22 octobre 2019

"Far Away Places"



Jamais, plus jamais ça...
          
         Des images poignantes, une caméra impressionniste, un scénario ciblé sur l’essentiel, le reflet d’un vécu où le spectateur peut se projeter de l’intérieur… "Far Away Places" (Pays Lointains) premier court-métrage de la jeune réalisatrice Tatiana Shanks, est un chef-d’œuvre, déjà couronné par une trentaine de prix internationaux.

Une enfance bafouée…


           Reconnaissons le courage de la cinéaste-scénariste qui traite sans concession du sujet difficile des abus sexuels sur enfant et en tire les conséquences alarmantes et les dérives qui fracturent la personnalité des deux héros prépubères, Te’a et Kyle. Far Away Places sort deux ans avant le mouvement #metoo, ce qui est un signe des temps : les jeunes sont en avance, n’accumulent pas les années pour se révéler brillants.

       L’analyse de Tatiana qui fait preuve de maturité nous induit vers le monde de la dépersonnalisation que subit toute victime mineure. Cet état de « sidération, de paralysie mentale et affective, d’anesthésie émotionnelle et physique » bloque le développement normal attendu et avec la perte des repères sociaux, déconnecte et déréalise. Ce film, qui relie façade ouest du Continent nord-américain et la minuscule communauté mythique insulaire de Polynésie française dont Tatiana est doublement originaire, nous embarque pour un voyage à rebours…

À l’affiche : les 3 protagonistes…
            Dans nos sociétés compassées qui affadissent le sens des mots et des actes : les abus sexuels s’édulcorent en "maltraitance", sont étiquetés délits et non plus crimes. Qui protège-t-on : la victime ou la notoriété du coupable ? Un thème brûlant d’actualité !

Une syntaxe de l'image

          Le scénario est fondé sur la prépondérance du gros plan silencieux qui capte les visages et renforce l’image ; les dialogues sont condensés, presque fugaces… et accentuent cette impression de non-dit. Ce procédé rend compte du traumatisme de la petite Te’a, enfermée dans son mutisme. La force de l’image vient de l’intérieur. Elle fait ressortir, exploser à l’écran la souffrance de l’enfant : elle fait jaillir de son regard, de ses traits, la douleur, la tristesse, l’absence…

          En parallèle, comme une respiration, le reste des dialogues ainsi que la bande-son posent le cadre et les événements : l’accueil au pays, les atmosphères familiales, les personnages secondaires, l’accident. Du coup, le synopsis est conçu comme un puzzle dont les pièces s’emboîtent peu à peu. Elles interpellent immédiatement le spectateur qui s’interroge. Pas de voyeurisme, tout est finement suggéré.

Acteurs du fenua & leurs productrices

         Par ailleurs, l’image est très belle, bien cadrée, rapide, fonctionnelle. Elle donne dans le naturel : tout comme le jeu des acteurs, majoritairement expressif mais pas surfait. Une simple histoire  livrée dans sa crudité.

Le dessous des cartes 

            En février 2019 au Petit Théâtre de Papeete, le film rencontre acteurs du fenua et professionnels de Tahiti où le film a été tourné dans sa majorité. C’est-à-dire, peu après le 16ème FIFO qui ne l’a pas sélectionné. Le label docu-fiction ( Cf. Tupaia, Chim Soo Kung, etc.) auquel il aurait pu s’apparenter relevant d’autres critères.

           Au cours de cette soirée de projection privée, Meleana Hirshon a reçu des mains de Tatiana, sa récompense de « meilleur second rôle » pour Oniros Film Awards en Italie, meilleure actrice au Melbourne City International Film Awards (2018) et au Maverick Movie Awards 2019. Émue, contente mais modeste ou peut-être encore impressionnée, Meleana laisse entendre, en se voyant à l’écran, « qu’elle aurait pu être meilleure ».

La récompense des mains de Tatiana pour Meleana

          Son partenaire, Kenta Asars, tout aussi méritant a décroché aussi un palmarès respectable. C’est qu’ils nous accrochent, ces jeunes acteurs, par leur sincérité, la vérité de leur interprétation. Les deux jeunes acteurs étant particulièrement bouleversés durant le tournage…

Toni Cornell compose & chante

           La chanson "Never Far Away" (Jamais loin) qui accompagne le film, composée à 12 ans par Toni Cornell, est sortie moins d’un an plus tard, en 2017. La jeune chanteuse évoque, dans un registre symbolique, la rédemption par l’amour. Elle reprend en refrain, cette phrase qui correspond à l’image finale du film : « Où que j’aille, tu n’es jamais loin », le titre de sa chanson. Accentuant, avec « tu m’as sauvé(e) », l’issue inversée de Far Away Places, ces lieux de l’errance intérieure.

ça n'arrive pas qu'aux autres  

         Juste pour souligner que les jeunes artistes de cette équipe sont étonnants d’exigence, de lucidité et de talent. Que les moins de 20 ans portent haut le respect de leurs droits et de leur intégrité. Qu’ils expriment dans les bribes d’interviews que j’ai pu leur consacrer, la pesanteur du drame de l’enfance qu’ils ont accepté d’interpréter ou de réaliser. Car rien n’est "rose" dans cette fiction. La révolte légitime des enfants les pousse à en finir avec l’humiliation, la honte et la dégradation. L’indifférence des adultes, de la société les accule au crime. C’est profilé, ça arrive parfois : la réalisatrice ne se voile pas la face.

           Rien n’est anodin pour le reste des acteurs-adultes : l’indolence, le laxisme des parents et des proches qui ne voient rien… mais sont catastrophés ensuite. Tony London, dans le rôle du père, nous en montre les travers. Quant aux courtes interventions de l’agresseur interprété par Julien Gué : tout tient dans une attitude qui oscille entre l’obséquieux et le glacé, fait ressortir la culpabilité et la crainte de "se faire pincer" mais reste sobre sans caricaturer. Une partition complexe où se montrer antipathique n’est pas une mince affaire pour un acteur.

Pédophile, un risque…
          Juste pour signifier que dans ce siècle qui commence mal, les jeunes posent des actes, pas toujours entendus de leurs aînés, pour que le monde évolue positivement… Et la fiction engagée de Tatiana Shanks interpelle les individus autant que les instances éducatives, sociales et thérapeutiques. L’enfance bafouée exige cette résilience qui lui permette de dépasser son traumatisme.

          L’impact de "Far Away Places", qui devrait passer à titre préventif dans toutes les écoles du fenua, a déjà soulevé l’enthousiasme des festivals internationaux de cinéma ou du public américain. Réussira-t-il à faire changer les choses avec une plus forte audience ? C’est le souhait que nous formulons aussi pour le prochain court-métrage de Tatiana Shanks "Never Forget" qui s’en prend aux tueries dans les écoles…

Far Away Places (Pays lointains)…
           La vidéo du film (21’ 43’’), après avoir fait sa tournée des Festivals, est maintenant accessible à tous.

           Never, never more : jamais plus…


Un article de  Monak

Tous droits réservés à Julien Gué. Demandez l’autorisation de l’auteur avant toute utilisation ou reproduction du texte ou des images sur Internet, dans la presse traditionnelle ou ailleurs.

Voir aussi :



vendredi 15 février 2019

16è FIFO, Justice !


De zoos et d’autres…

       S'il fallait définir la session 2019 du FIFO à Tahiti, admettons et à juste titre, qu’elle est devenue l’espace des revendications océaniennes : le Grand Prix en est la preuve. Le documentaire, avec le sérieux de ses informations, le choc de ses images a rempli sa mission de tribune médiatique, face au monde qui l’ignore.
 
  
« Justice ! » est l’appel que lance l’Océanie, sur tous les fronts. « Justice climatique », dans l’immédiat : elle dépasse les cris d’alarme, lancés précédemment et restés sans réponse. Le déluge est en cours, il se nomme montée des eaux. Les  « réfugiés climatiques » ne sont plus une prévision de savants fous, mais la réalité que porte à l’écran Matthieu Rytz dans Anote’s Ark, l’Arche d’Anote. En effet, Anote (Tong), ex-président des Kiribati, porte à bout de bras sa république, œuvrant  pour la solution ultime du transfert des populations, les pieds dans l’eau de l’océan.

Un grand-prix emblématique
“Justice historique” invoque l'Océanie : quêtant la réhabilitation du soi-disant “sauvage”, dans sa pleine et entière dignité d’être humain, quand le mythe du “monstre cannibale” justifiait la supériorité ethnique et la conquête coloniale des grandes puissances occidentales, à coups d’exhibitions foraines. Ce n’est pas tâche facile et Pascal Blanchard, co-réalisateur avec Bruno Victor-Pujebet de Sauvages, au cœur des zoos humains, ne le sait que trop ! Contesté pour avoir décrypté le langage d’une trop longue époque (1810-1940) et en avoir déballé l’idéologie rampante, qui contamine encore les sociétés d’aujourd’hui.

« Justice sociale, économique », réclame l'Océanie : pour tant de minuscules îles, tributaires du système coercitif de la mondialisation. « Justice culturelle », proclame l'Océanie :  pour avoir été trahie par les critères, les exactions, les manipulations de certains ethno-voyageurs qui refusent de renverser leurs perspectives, mais s’accaparent les biens sacrés et les dépouilles  de leurs hôtes. « Justice identitaire », supplie l'Océanie: pour le 3ème genre et les minorités.

Au pire du réchauffement climatique

L’Arche d’Anote, Anote’s Ark, n’est pas celle de Noé. Elle n’est pas accompagnée des bénédictions des tout-puissants de la planète. Les îles coralliennes des Kiribati,  loin de pouvoir exploiter une quelconque activité industrielle, paient les pots cassés des monopoles pollueurs de la planète.

            La voix d’Anote pour la survie de son peuple et de sa culture, n’est pas vraiment entendue par les instances  internationales. Son combat ne dérange pas outre mesure les aventuriers des industries fossiles. C’est aujourd’hui, et demain est déjà trop  tard.

“Justice climatique !”
Désespérant que de voir deux atolls inoccupés, déjà engloutis… et la lutte pour la consolidation des rivages habités par des sacs de sable, tient du mythe de Sisyphe.  Restent les pays environnants comme asiles, la Conférence des Nations Unies sur le changement climatique (2015) se montrant inapte à résoudre la crise ! Quant aux tribulations du réalisateur, ceci est une autre histoire.

Au pire du racisme...

Étonnant que les pays dits "civilisés”, aient reproduit, malgré les écrits sur la tolérance de Montesquieu et de Voltaire (in Candide, le Nègre de Surinam, 1579), ces marchés de la « monstration » si populaires au Moyen-âge ! Ces pervers plaisirs de cour qui enchantaient nos monarchies  enfin déchues par la révolution. Bien des penseurs ne l’avaient pas admis, même dans le contexte de "la peur de l’Autre", qu’il soit étranger ou difforme. Décrypter le langage de l’opinion publique, Pascal Blanchard n’a pas eu tort de le faire, même s’il a été controversé sur ce point. 
Rappelons tout de même qu’à l’origine de notre langue, le "monstre", c’était celui que l’on "monstrait (devenu montrait ensuite)", comme une bête de foire. Pour rassurer le quidam de ses grandes peurs : celles de la naissance, de la mutilation, de la femme-sirène, de la bisexualité refoulée… de l’anomalie (nain, bossu, bouffon de cour, géant, infirme…). Le discours religieux l’avait entériné depuis longtemps, avec les ethnies bizarroïdes (noires, voire albinos !), estampillées sataniques ou  descendants maudits de Caïn, de Cham ou des filles d’Eve…

A l’ère de la Révolution industrielle et scientifique, pouvait-on accepter de telles superstitions, sauf pour défendre une politique d’expansion coloniale ? L’infériorité ethnique, joua à plein son rôle dogmatique. Ahurissant tout de même que ce soit la Reine Victoria qui, la première (1885), ait interdit « les exhibitions de phénomènes humains, pour immoralité » ! Et si le documentaire ne relate pas la curiosité que suscita le Tahitien Omaï à la cour d’Angleterre, c’est qu’un siècle plus tôt, la donne se serait posée autrement. Entre autres figures de ces déportations lucratives : le Kanak Marius Kaloïe et… la cage aux singes du Bronx pour pas mal de victimes.

“Justice historique !”
Ils l’ont fait ! Ils ont osé, de 1810 à 1940 ! Ils ont étalé leurs fantasmes exotiques en orchestrant la représentation de nos semblables, arrachés de leurs terres natives, dénudés, gesticulant, forcés de se nourrir de viande crue, mimant des scènes de cannibalisme dans  des ménageries glaciales ! La révolution des mentalités n’a pas vraiment eu lieu, celle du "triple décentrement ", proposée par le structuralisme anthropologique de Claude Lévi-Strauss qui déclarait en 1955 : « car les voyages nous montrent finalement… notre ordure lancée au visage de l'humanité ».

Documentariste, un métier sans repos...

Pour les réalisateurs de documentaires, la passion d’informer prime sur des conditions plutôt précaires. Soit vous avez votre propre tremplin de diffusion, soit vous dépendez de producteurs et de diffuseurs qui vous imposent leur format, leur correctifs, leur budget, soit vous êtes en butte aux autorités locales ou judiciaires. Vous risquez l’intermittence, évidemment. Sachant que les heures de préparation, d’écriture ne sont en rien comptabilisées… « à vot’ bon cœur, M’sieurs’Dames ! des Médiathèques et des Festivals documentaires ». Donc, très peu de liberté créatrice et en dehors des plates-formes télévisuelles, peu de visibilité.

Où passe donc le documentaire d’auteur ?  Libre d’écriture, celui qui ne rentre pas forcément dans le moule préfabriqué des systèmes de communication audiovisuelle attendus. Le documentaire paraît souvent conforme à un genre prédéterminé. Ce qui devient lassant, tant leur structure est mondialement standardisée.

La porte du virtuel, une réalité ?
L’Océanie, monde multiple, ne possède-t-elle  pas en elle, sa propre façon de se raconter ? Ne génère-t-elle pas  des modes singuliers, fondés sur ses propres critères culturels et la rencontre avec un réalisateur dont les points de vue se conjuguent avec la réalité, avec les modes d’expression spécifiques des êtres qu’il contacte ? Des symbioses à l’infini, en quelque sorte. Des conjonctions de sensibilité… L’avenir pourra-t-il le dire ?


Un article de  Monak

         Tous droits réservés à Monak & Julien Gué. Demandez l’autorisation de l’auteur avant toute utilisation ou reproduction du texte ou des images sur Internet, dans la presse traditionnelle ou ailleurs.