Identité et métissage
Le FIFO 2016
s’assurant exceptionnellement des journées ensoleillées en pleine saison des
pluies, la chaleur émotionnelle s’en va croissant à mesure que palpitent les
écrans des différentes salles de la Maison de la Culture à Papeete.
Il
commence pour la seconde année consécutive par une après-midi appelée « Carte
Blanche ». Elle est animée par Anûû-rû
âboro, à partir du Festival
International du Cinéma des Peuples de Nouvelle-Calédonie, avec un quartet
sélectionné par René Boutin. Il se poursuit
en soirée par la 7ème Nuit du court océanien. Mais nous n’en sommes
qu’au Off.
Un Président de jury, venu du désert mauritanien |
Cette 13ème édition du Festival
International du Film Documentaire Océanien (FIFO) ne manque pas, comme à
l’accoutumée, d’honorer la production du Président du jury. Une manière de nous
présenter Abderrahmane Sissako avec, pour la
première fois, la projection d’un film, tout juste césarisé sept fois au festival
de Cannes 2015. Timbuktu (2014), c’est d’abord
une approche visuelle sensible, un talent de cinéaste, une détermination très courageuse
aussi. L’univers mythique du désert africain démantelé par l’aberration d’un
extrémisme religieux venu d’ailleurs : une véritable dénonciation menée
point à point.
Le « In » débute dès le 3ème
jour une semaine abondamment chargée. Il se partage entre 11 films en
compétition, 23 films « hors compétition » et une section de 8 films,
qui balayant les Îles du Pacifique, est « ouverte au vote du
public ».
L’insularité au vent du FIFO
Maintenant, si votre soif de cinéma actif
tient à se réaliser concrètement, des ateliers vous sont ouverts : avec le
« 1er marathon d’écriture », l’écriture de scénario, la
prise de vue et le montage Ipad-Iphone – très fréquenté-, la réalisation d’un
jeu vidéo, le « cinémagraph ». Quant aux professionnels, ils
trouveront leur content entre studios et colloques.
Sous le banian
Qui
dit banian au Fifo, évoque rencontres avec acteurs, réalisateurs ou producteurs
sous l’arbre tutélaire ombrageant le parvis de plein-air ou paepae, trônant au cœur du Village-FIFO…
Mais vous pouvez préférer les débats immédiats suivant les projections du Grand
Théâtre. Sans problème de
traduction : le multilinguisme fait partie de l’ordinaire.
Qui
dit Tahiti aussi, ne peut l’imaginer sans ses parfums floraux embaumant chaque
recoin. Il n’est pas que les rendez-vous sur le paepae qui puissent être impromptus. Chacun peut aborder au pied
levé les grandes figures de ce festival... Les Polynésiens le font avec
tellement de gentillesse ! Mais chaque médaille a son revers : au
coup d’envoi, le village FIFO n’avait pas encore revêtu ses apparats végétaux.
Retard bien vite comblé : les décoratrices à pied d’œuvre donnant fébrilement
du ciseau et de la plante.
Un Banian aux grandes oreilles… |
Malgré
un rodage qui s’avère de plus en plus efficace, une climatisation moins
agressive, une sono bien améliorée au Grand Théâtre, même si les basses ont
avalé les dialogues de « Résistance »… deux tout petits incidents techniques
ont émaillé le lancement des premiers jours.
Qu’est-ce
qui fait courir les foules venues du monde entier, du Grand Pacifique, mais
aussi des îles toute proches ? Les Polynésiens, de plus en plus nombreux
chaque année ne manqueraient pour rien au monde les festivités visuelles où
l’image envahit les corps.
Les confidences de Jaiyah (Samoa) |
Reconnaissons-le,
le public de cette année manifeste plus que jamais ses réactions à chaque
séance. Scandant les rap de Hip-Hopération,
sortant les mouchoirs, riant à gorge déployée, interdit par la cruauté des
messages (Another World), sous le
charme d’une certaine grandeur des personnages.
Une sélection dans le vent de l’histoire
S’il
faut donner une couleur au FIFO 2016, il est à l’image de notre planète. Même
l’Océanie est atteinte par ce fléau, du nom de communautarisme et d’apartheid. Les
microcosmes s’entredéchirent, ne reconnaissent plus les leurs. À part certaines
expériences positives de petits groupes
(Une équipe de rêve, Raimana World, Te Mana o te Moana, Totem
Liberté…), dans le même pays, les clivages ne cessent de se creuser.
Pour une terre de Cultures
La
notion d’identité nationale ne cesse d’exclure les minorités, le métissage est
ressenti comme un handicap, une honte. Où sont passées les utopies universalistes ?
Le syncrétisme religieux n’a pas toujours bonne audience, sur le terrain comme
en salle de projection : « Pour nous, Jésus est noir » (Another Country) déchaîne les
controverses. L’exercice de la justice ne parvient à son aboutissement que
porté sur la scène internationale (The
road to home, Putuparri and the Rainmakers,
etc.).
Ce
qui n’empêche pas certains réalisateurs d’avoir su effacer la mécanique de leur
film pour privilégier l’aspect créatif et produire de petits objets esthétiques
passant par une fiction chorégraphiée et chantée (Prison Songs). Véritable prouesse, avec le cloisonnement
pénitentiaire entre quartier-hommes et quartier-femmes ! Le traitement de
l’image en silhouettes habitées de forêt, de racines, du bois dont on sculpte
les rêves (Totem Liberté). Anonymat
des détenus oblige.
Si les racines avaient un chant…
À
part de rares documentaires empreints de didactisme et d’un classicisme usé,
sans relief, l’ensemble de la sélection semble évoluer vers une liberté
d’inspiration, de ton et de thème (L’Île
Continent, Footprints). La leçon du film océanien ne serait-elle pas celle
du choc des civilisations (à l’instar du ressenti des Aborigènes d’Australie d’Another Country) : « Vous
nous apportez la culture de l’ordure… Nous, nos outils, nos vêtements, nos
maisons…nous les empruntons à la Nature et nous la lui rendons ».
Moments forts
Ne
nous privons donc pas de saluer le choix cinématographique d’Anûû-rû âboro,
avec son tour du monde sur les microsociétés, leurs relations à la culture
ancestrale… qu’elles soient menacées ou en proie à une dérive sociétale
mondiale.
Un ‘arioi (acteur) sort de l’oubli avec Lala Rolls |
Les
quatre films montrent tous l’âpreté de la mondialisation, le relâchement des
liens communautaires, la soumission au trafic international et à la loi de
l’argent, la lutte inégale pour la survie. Un engrenage qui, hélas, est trop
bien huilé par les mafieux de la politique et de l’économie internationale. Il
est un autre fait significatif non-négligeable. Quel que soit le continent
exploré, le rapport à la divinité est prégnant : esprits de l’au-delà et
réincarnation (Corée), esprit protecteur de l’océan (Bornéo), culpabilité de
l’aveugle par rapport à la perfection sublimée (rizières du Mazandaran),
fétichisme meurtrier en Tanzanie. En toutes les langues, en toutes les
offrandes, il semble que le regain de la religion ne soit pas absent des
réalisations. Est-ce l’imminence des dangers qui entretient ce recours au divin
?
Les danseurs de pluie avec Nicole Ma |
Parmi
ces documentaires-fictions, la Corée de My
love, don’t cross that water, expose le décalage entre la délicatesse des
jeux de l’amour à l’ancienne et la violence ou l’indifférence des jeunes
couples. Brodées sur la soie d’images très poétiques, les valeurs vivaces chez
ces quasi-centenaires passeront-elles dans l’oubli comme le craint la veuve
éplorée ? Les plongeurs de ces tribus nomades de la mer à Bornéo, obligées
de descendre de plus en plus profond, risquent leur santé et leur sécurité, au sein
de ces villages-pilotis miséreux de Walking
under water.
La
situation n’est pas plus rose, dans les rizières de la Caspienne (Iran) où
vivoter se solde par des prises de risques pour troquer le fruit de la récolte
ou de la cueillette. Dans Mashti Esmaeil,
le héros éponyme, ne ménage pas sa peine, malgré sa cécité, quotidiennement,
sur son toit, à la cime des arbres, sur les digues étroites des cultures en
terrasse. Pénurie, pauvreté, ignorance conduisent les uns à exploiter la
couleur des autres. Les albinos sont traqués, mutilés, exclus dans ce film
intitulé In the shadow of the sun.
Des organisations criminelles sont inculpées par le combat incessant de ces «
White Ghosts » (blancs fantômes), pour se réapproprier le droit de vivre.
Au coeur de l'histoire océanienne
Un
panel genre « mort aux trousses » sur quatre continents… ce n’est pas pour
laisser indifférent. C’est instructif… sur les différences mais avant tout sur nombre
de similitudes qui émaillent la crise sociétale tous azimuts. Face à la mort
inéluctable, le refuge dans les dévotions s’intensifie, parfois fait place à
l’exploit. Et bravo pour cette « carte blanche Anûû-rû âboro »
qui par son engagement a impressionné les spectateurs… regard voilé de larmes.
Instants éclectiques
Pour
terminer sur une note à peine moins grave, la « Nuit du court océanien » a
permis à chacun de se donner du souffle. Pour du court, c’est vraiment du
très-court-métrage ! La Polynésie française bat le record avec trois «
courts-courts » d’une minute Tahiti, Ma lettre de correspondance et Avec le Temps sur les six qu’elle
présente… Vous avez, en tout, deux heures et demie pour adapter vos neurones à
des univers très différents. Petite gymnastique plaisante, après tout !
Rendez-nous nos
terres…
Sur
18 courts, dont les productions Australiennes (6), néo-calédoniennes (3) et
néo-zélandaises (3), vous êtes assurés de jongler avec les écritures aussi
variées que l’animation, l’arrêt sur image, le graphisme, le scénario dialogué,
les genres aussi opposés que la comédie, le fantastique, le film catastrophe,
l’anticipation, la tranche de vie, le doc en 8mn avec Tohunga et le gag…
Soirée
découverte… car nous savons que bon nombre de ces petits films feront croître
la notoriété de ces réalisateurs océaniens, jeunes pour la plupart…
Si l’histoire m’était contée… |
Juste
pour vous donner des impressions générales, nous n’irons pas plus avant dans
cet aperçu des parfums de FIFO… D’autres articles suivront avec points de vue
divers et variés. Car, à n’en pas douter, cette session cache encore d’autres
coups d’éclat.
Fifotez,
fifotez… il en restera toujours quelque chose !
Un article de Monak
Remerciements
à Vaihere et à l’équipe du FIFO
Toutes références sur le FIFO 2016, avec ce
lien :
Autres articles
sur le sujet :
http://tahiti-ses-iles-et-autres-bouts-du-mo.blogspot.com/2016/02/fifo-2016-ateliers.html
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