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jeudi 8 décembre 2016

"Far Away Places"



Tatiana Shanks tourne à Tahiti

Le sujet est brûlant, voire tabou. Dérangeant, car Tatiana Shanks, dans son film Far Away Places, traite des abus sexuels sur petite fille mais aussi de la solidarité, au pays de la cohésion familiale, Tahiti. Ce n’est pas si simple de forcer le silence des convenances et de chercher réparation auprès de l’abuseur. Mais c’est indispensable pour la victime. Un acte de courage pour la jeune auteure et réalisatrice de 18 ans qui signe son premier court-métrage.

Le propos du film étant focalisé sur le ressenti et les réactions des enfants, tous deux personnages principaux, Te’a et Kyle, Tatiana Shanks ne se départit pas de sa vision d’auteur, incluant l’authenticité d’une société du Pacifique Sud. Elle choisit une esthétique impressionniste, l’image exprimant en touches discrètes la psychologie des personnages et contaminant l’atmosphère. À cette étape du tournage, les quelques rushs que j’ai pu voir, semblent le confirmer.

Te’a et Kyle en nocturne
La fiction, repose sur un fait réel. Elle l’assortit d’un contexte qui permet d’appréhender de l’intérieur, la rencontre de deux modes de fonctionnement culturel, de part et d’autre du Pacifique. Meleana Hirshon, 9 ans, dans le rôle de Te’a vous en révèle l’essentiel à mots couverts : « Mon cousin venu en vacances, va découvrir que je suis maltraitée. Il va me suivre un peu partout jusqu’à tout raconter à mes parents. Mes parents veulent voir le voisin qui m’a fait du mal, mais… »


Instantanés…

Je ne vous en dirais pas davantage, pour ne pas présumer des intentions de la réalisatrice, même si le récit de Meleana coïncide en tous points au scénario…  Et pour ne pas tout éventer, elle ajoute : « Je ne peux pas le raconter à mes copines avant sa sortie. Autrement, elles ne viendraient pas voir le film !»

Kenta Asars parle de Kyle…
Le point de vue de Kenta Asars, alias Kyle, du haut de ses 11 ans, analyse son personnage avec sagacité : « Kyle est un mauvais garçon mais dans le fond, il n’est pas méchant. Il est curieux et s’interroge sur Te’a. Et il cherche à être son héros »… comme l’indique en filigrane l’ébauche d’affiche de « Far Away Places : She needed a heroe ».

Elle cherche son héros…
Tukau Teinauri, 8 ans, spectateur de plateau et figurant, commente ainsi : « J’aime cette histoire, elle a des moments vraiment bien et amusants. Et puis, je peux voir ma cousine ». Chacun ses priorités ! Puis il ajoute : « L’histoire est un peu triste ; ça m’a un peu dérangé. »

D’ici et d’ailleurs…
Si le titre du film rappelle une chanson populaire américaine, interprétée en 1948 par Bing Crosby… il est polysémique. Consacrons-nous aux possibles traductions de Far Away Places pour nous en rendre compte. Contrées lointaines exprime à plein l’attachement de Tatiana, américano-canadienne, pour la patrie lointaine dont elle est en partie originaire… et qui berce son imaginaire. Elle l’exprime à plusieurs reprises : « Je souhaite à tous d’éprouver ce que je ressens sur cette île » (Le 29.nov. 2016, sur la page Facebook de Far Away Places).

Meleana au magasin Puna’auia
À l’autre bout du monde, évoque l’impensable : c’est-à-dire, comment bascule la vie de deux jeunes enfants, confrontés à la perversité de certains adultes et à quelles extrémités ils sont acculés pour s’en défendre, entre rage, révolte et désespoir.

Julien Gué en Temana : un voisin peu recommandable
Enfin, À l’étranger, nous conduit au cœur du problème, les séquelles psychosomatiques d’une enfant abusée : ses repères perdus, elle erre dans un monde étrange de cauchemars, de solitude, de meurtre et d’insécurité. Refoulant inconsciemment toute émotion, privée de sa liberté de réaction, elle se dépersonnalise. Le nombre des mineurs victimes de sévices sexuels en Polynésie est alarmant : 250 en 2015, soit, proportionnellement, presque 10 fois plus qu’en Métropole. Et encore, ne s’agit-il que du chiffre des cas qui ont été déclarés.

Les aléas du court-métrage
Le court-métrage, pour qui se lance dans la réalisation, est une carte de visite opérante. Pour Tatiana qui termine le lycée, cette expérience est une véritable formation, avant d’aborder l’an prochain une école de Cinéma. N’étant pas lié à une boîte de production, il a toute liberté de création. Sauf qu’il doit parvenir à trouver ses fonds de financement. Far Away Places, pour un tournage de 10 jours a réussi à s’assurer le minimum, à partir de dons et du soutien d’Air Tahiti Nui. Le reste est encore à venir.

Une page du story board
Avec une logistique, mi-basée à los Angeles, mi-localisée à Tahiti, il a fallu trouver des solutions avantageuses. La famille a répondu présente : la productrice exécutive et mère de Tatiana, Vaitiare Hirshon, est une actrice polynésienne bien connue de l’écran américain et international. Le casting a fait appel aux cousins des deux rives du Pacifique. De ce fait, les étapes entre conception et concrétisation n’ont pas suivi le cours habituel. « Le découpage échafaudé avec le chef opérateur, Ben Enke, aux US, a dû se réaccorder avec le plan de travail* »

Mais c’était sans compter sur la détermination de l’équipe, prête à tout pour atteindre son objectif. Ainsi l’explique Tareparepa Teinauri*, 1ère assistante réalisatrice, bien que sa spécialité soit régisseuse générale dans l’accueil de tournages, pourvue d’une grosse expérience de terrain : « Sur un court-métrage, on travaille à l’arrache. Le format du court-métrage, disposant de moins de moyens financiers et humains, tout le monde porte 3 ou 4 casquettes. Habituée à de grosses productions, c’est revenir au basique. »

Tarepa détaillant le texte avec Meleana
Je l’ai vue passer dans la seconde, de la direction d’acteur à l’accessoiriste ou à la régie de plateau. Traductrice et porte-parole auprès des acteurs d’ici, soit les deux-tiers du casting francophone, Tarepa précise : « C’était tout bénéfice pour moi ; j’étais plus impliquée que d’habitude. Dès notre premier briefing avec Tatiana, j’ai insisté pour que les fonctions s’ajustent et que je ne prenne pas trop de place, avec le souci de ne pas trop m’ingérer… Je suis là pour la protéger des détails qui ne la concernent pas pour qu’elle se concentre sur son travail ; Tatiana préoccupée par le rendu technique de l’image. Mais aussi pour la rappeler à l’ordre en ce qui concerne le timing. Tatiana est réfléchie ; elle sait ce qu’elle veut. D’un caractère assez facile, je ne la connaissais pas vraiment, seulement en tant que cousine-enfant et adolescente… L’entente a été constructive et fructueuse ».

Un casting bigarré
Tourné en majeure partie côté-mer à Puna’auia, au magasin du même nom, au Fare Ylang-Ylang, à la caserne de pompiers, etc., Far Away Places débute et se clôt à Los Angeles. Outre les membres de la famille, la distribution artistique s’équilibre entre débutants et acteurs de métier. Le casting polynésien...
conduit par Manu Bonnefin. Pour leur premier rôle, Meleana comme Perina Riveta (dans le rôle de Moerani, la grand-mère) se sont laissé materner par Tarepa.  Il en sort de belles surprises…

Perina Riveta, Grand-mère Moerani
Les pros paraissent avoir commencé très jeunes au cinéma ou sur scène : Kenta Asars défile comme modèle dès l’âge de 2 ans et en est à son cinquième film. Tony London qui joue Jack, un oncle de Kyle, démarre comme musicien et chanteur, à peine adolescent. Quant à Julien Gué, dans le rôle de Temana, le voisin indélicat, c’est vers quinze ans qu’il monte sur les planches et, débarqué à Tahiti en 2000, il se consacre exclusivement à la mise en scène et à la direction d’acteur, tout en faisant des apparitions au cinéma en Polynésie.

Tony London, casquette clapman
L’équipe technique est à cent pour cent professionnelle. Avec, entre autres, un duo masculin dont l’ingénieur du son Raimana Loussan, qui participe à pas mal de productions et de documentaires.

Attente avide
Les images soigneusement enregistrées et envolées sous d’autre cieux, reste le montage sous l’œil diligent de Tatiana Shanks. Dernière opération qui révélera la personnalité et la patte de la réalisatrice. Pour l’instant, le mystère reste entier.

Tukau, sa cousine et une histoire de famille…
Encore quelques mois… D’ici là, je piaffe, mais j’en connais d’autres qui sont dans le même état…

Un article de   Monak

NB – Je reviendrai compléter cette approche dans un prochain article intitulé : « Impressions de tournage » et clore sur une interview de Tatiana Shanks.
Toutes les photos prises par Monak pendant le tournage ne rendent aucun compte de l’intention du film et de l’atmosphère des prises de vue cinématographiques. Elles se cantonnent à l’ambiance du plateau. Il vous reste donc toute opportunité de les découvrir… lors de la diffusion de Far Away Places.


Tous droits réservés à Monak & Julien Gué. Demandez l’autorisation des auteurs avant toute utilisation ou reproduction du texte ou des images sur Internet, dans la presse traditionnelle ou ailleurs.



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