Un
club, un féminisme
Le Club Tahar
Haddad, à Tunis, vient de fêter ses 40 ans et invite sa fondatrice emblématique :
Jalila Hafsia. Le courant d’émancipation féminine qui débute à la fin du 19ème
siècle, et se renforce avec le penseur réformiste Tahar
Haddad, constitue à
lui seul une saga, pleine de rebondissements
Innovée
par l’avant-garde des figures féminines qui ne cessent d’affirmer leur liberté
dans leur mode de vie, à la scène comme dans les mouvements militants
indépendantistes sous le Protectorat, l’égalité est concrétisée de fait, dès l’Indépendance, avec l’instauration légale
du Code du Statut Personnel (CSP, le 13 août 1956). Outre sa promulgation, Bourguiba
a su partager ses convictions modernistes en assignant aux femmes un rôle
politique et culturel. Avec finesse,
audace, détermination et piquant, mais en toute mansuétude, Jalila Hafsia s’est
employée à en faire féconder les assises.
Habiba M’Sika, une liberté de feu
C’est en toute originalité aussi que la Tunisie
accomplit son évolution sociale, sans nul besoin de se référer à d’autres
influences venues d’ailleurs. Et c’est en toute connaissance de cause qu’elle
œuvre depuis la révolution de 2011 pour préserver ses acquis, dans un contexte
international sexiste qui masque la crise économique. En guise de retour au
spirituel, le siècle agite ses vieux démons misogynes. Il est vrai qu’en ce
même jour du 20 décembre 2013, les Espagnoles déchantent avec pour cadeau de
Noël prématuré, une régression de 30 ans en matière de droits des femmes. La menace de l’intégrité
corporelle et psychique reste donc bien présente et la planète est loin de
vivre son ère orgasmique à la veille du solstice d’hiver.
Tahar Haddad, puis le CSP en
danger ?
Parallèlement
à l’affranchissement de la censure depuis la chute de la dictature Ben Ali, bien
des dérives et des délits d’opinion se sont fait jour en Tunisie. Du fait des
mouvances intégristes, les pires messages d’intimidation, de mutilation, de
condamnation et de meurtre sexistes, signés ou proclamés lors des prêches du
vendredi, concernent les femmes comme leurs défenseurs.
Tahar Haddad, un réformateur ciblé |
Si
Tahar Haddad (penseur, syndicaliste
et homme politique tunisien né le 4 décembre 1899 à Tunis, décédé en exil le 7
décembre 1935,) ne risque plus rien en personne (et pour cause !), ce sont
à ses publications que s’attaquent les factions des « frères
musulmans » ! Si les Tunisiens ne cessent de s’insurger contre les fatwas (jugements
religieux) qui martèlent la vie quotidienne, dans le même temps, les confréries
religieuses viennent de recevoir leurs étrennes en
Egypte.
Détruisant les mausolées, ils programment, non sans aveuglement, vouloir brûler les
écrits de Tahar Haddad, répertoriés, conservés, reproduits bien
soigneusement de par le monde ! Car
la dichotomie persiste depuis, entre dogme et laïcité.
Hatem Bourial, journaliste
tunisien mais aussi l’un des animateurs du Club Tahar Haddad depuis sa
jeunesse, revient ainsi sur la biographie de l’auteur de « Notre femme aux yeux
de la société et de la religion » :
« Pauvre Tahar Haddad : de son vivant, il
a subi la plus terrible des cabales que menèrent contre lui les milieux
conservateurs de son époque.
« Ils
étaient allés jusqu’à tenter d’interdire son inhumation dans un cimetière
musulman à cause de ses positions féministes jugées blasphématoires.
« Longtemps
après sa mort, voici maintenant des illuminés qui s’attaquent à ses livres en
les brûlant.
« Comme
quoi, certaines haines ne meurent jamais.
« Comme
quoi, le destin des libres penseurs dans la cité islamique est toujours vécu
sous la menace. »
Bourguiba, un pied d’égalité avec la femme |
De
même l’incontournable législateur de l’émancipation de la femme, Bourguiba, alors
président du Conseil, s’appuyant, tout comme Tahar Haddad, sur l’exégèse du
texte coranique, pour instaurer (entre autres droits fondamentaux comme le
droit de vote) « la monogamie, le
libre choix de la future épouse, l’abolition des tribunaux religieux, l’interdiction
du port du voile à l’école, le planning familial, le droit à l’avortement,
l’instauration de la République… » a connu bien des détracteurs
conservateurs.
Elu
à la présidence de la république tunisienne en 1957, Bourguiba légitime le
féminisme en tant que « doctrine » de la politique qu’il
mène.
Le CSP subira les relents discriminatoires dus à la tradition, du fait de
l’inscription dans la Constitution de 1959 de l’article « La Tunisie est
une république islamique ». Malgré cette concession, Bourguiba table sur
le dynamisme des femmes, nommées aux postes clés des Maisons de Culture.
Parcours de femmes libres
Dans
le paysage tunisien du début du XXème siècle, les femmes se sont montrées
combattives. Indépendantistes, féministes, instruites, exerçant un métier,
nombreuses ont été les femmes qui arrachaient leur liberté au jour le jour. « Habiba
Menchari au cours d'une conférence à
Tunis en 1924, réclame l’abolition du voile, et joignant l'acte à la parole
se découvre le visage en l’ôtant. »
Habiba Menchari : pour une question de voile |
De
même, la figure de l’actrice et chanteuse Habiba M’sika, (1903-1930) inspire
encore les cinéastes : de Salma Baccar à Sarah
Benillouche.
Pour ces héritières des brèches ouvertes par leurs aînées, comme Jalila Hafsia,
reste à porter la voix de celles qui se sont tues. Pour elle, le féminisme
s’élabore dans une société où la mixité n’est pas taboue. Ainsi
s’entoure-t-elle de ceux qu’elle appellera « ses fils ».
« Journaliste,
écrivaine, animatrice culturelle et femme émancipée, Jalila Hafsia marque toutes
et tous ceux qu'elle croise. En témoignent toutes les femmes présentes, lors de
cette rencontre, conviviale certes, mais surtout sympathique. Autour de Jalila,
il y a toujours de la bonne humeur et un peps qu'elle seule sait dégager avec
sa manière d'aller vers les autres et de considérer tout le monde comme des
amis. »
Jalila Hafsia : des générations actives |
Asma Drissi
souligne ainsi, en 2011, l’impact d’une femme au service de ses semblables
et de la société tunisienne dans sa totalité : « De nos jours, rares
sont les femmes célèbres, qu'on reconnaît dans la rue et à qui on témoigne
admiration et amour pour leur action culturelle, pour avoir été un soldat de
l'ombre d'une lutte pour l'émancipation des femmes, pour avoir été le mentor de
plus d'une plume féminine, pour être un exemple…un modèle.
« Jalila
Hasfia, à qui on a rendu hommage vendredi après-midi, à la Bibliothèque
nationale, fait partie, elle, de ces femmes qu'on ne risque pas d'oublier.
Femme de culture dans plus d'un domaine, elle a consacré beaucoup de temps (ou
peut-être le temps qu'il faut) pour créer une vie culturelle, là où elle fait
escale. »
A
son rôle culturel, salué par l’actuel ministre de la culture, Bady
Ben Naceur
lui impute avec justesse, celui de « mémoire vive », avec 30 ans de
journalisme : « Du Belvédère au Club de la Médina en passant par l’Espace
Sophonisbe (encore une femme célèbre, de l’Antiquité celle-là) de Carthage —
qui s’en souvient aujourd’hui ? — Jelila Hafsia, chroniqueuse à La Presse de
Tunisie «En toute liberté», avait fini par écrire ses mémoires. Mémoires d’une
époque — et même de plusieurs — où s’entrecroisaient les esprits éclairés
littéraires et artistiques combattant ceux bien souvent étriqués et mensongers
des pouvoirs politiques qui avaient la mainmise sur tout. Au final, la
Révolution du 14 janvier est arrivée, comme un tsunami, balayer toutes ces
tares qui empêchaient la claire intelligence de s’exprimer. Juste retour des
choses aujourd’hui, puisque ce club féminin, jusqu’au bout des ongles mais
ouvert à la gent masculine non machiste, lui rendra un vibrant hommage
après-demain, vendredi »
Tahar Haddad : plus qu’un mythe, une réalité |
Et
si Jelila Hafsia appartient à cette catégorie de personnalités qui n’ont jamais
sacrifié au culte de leur image, elle reste pour moi, la femme sans âge, tant
sa pétulance est allègre et sémillante, à la ville comme sous la plume. Le tout
récent Volume IV -«Chronique familière » sorti en 2012, date de ses 84 ans-
complétant le recueil Instants de vie,
suite de « témoignages, de réflexions sur des
questions politiques, culturelles ou personnelles commencé dès 1967 », affirme son engagement
critique dans l’écriture. Pionnière, « Jalila est la première tunisienne à
publier un roman en langue française, en 1975 (avec Cendres à l’aube) ».
Féminisme, un scandale ?
A
la question que pose Bady Ben Naceur dans son édito,
qu’il se rassure ! De Tahar Haddad, ce n’est pas
tant son cri d’alarme que sa révolution féminine qui perdure. Elle est passée
dans les gènes de la société tunisienne, femmes et hommes inclus qui assument à
part entière. Personnalisée par Jelila Hafsia, premier relais des jours
meilleurs, les jeunes continueront à se passer le flambeau !
«
Heureusement on ne brûle plus les
sorcières,
on préfère dresser un bûcher autour de leurs pieds sacrés de déesses en papier
laissant au temps le soin d’allumer le brasier. Aliaa la blogueuse nue du Caire
a jeté l’effroi sur l’institution El Azhar avant de se réfugier en Suède. Questionnée
sur le geste d’Aliaa, la grande féminine et psychiatre égyptienne Nawal el
Saadaoui a répliqué : "Je le perçois comme un cri !" Oui, les Femen
crient. Scandaleuses ? Toutes les féministes ont commencé leur combat en
scandalisant, Simone de Beauvoir était la bête noire de l’Eglise et des
politiciens de l’époque. »
Le combat féministe continue… |
« La vocation du club Tahar-Haddad
s’est-elle perdue ? Bien
sûr que non. Il y a, seulement, que ce XXIe siècle débordé avec les
effets de la révolution tunisienne a, en quelque sorte
«masqué», idéologiquement (religieusement), les espoirs d’humanité qu’une jeunesse,
d’une génération à l’autre, attendait. »
Noël
2013 semble avoir été l’objet des proclamations et des décisions les plus contradictoires
de par le monde… mais il laisse place aussi aux espoirs les plus
légitimes : « Les masques sont en train de tomber et l’islamisme
radical démontre bien qu’il pourrait être le pire des totalitarismes.
Tahar Haddad : un club aux fondations solides |
« Nous
sommes prévenus. Les précédents sont d’ailleurs nombreux. Mais nous ne serons
pas des Munichois, les bras croisés et les regards détournés, face à cette
violence barbare… », conclut Hatem Bourial, dans son « billet »
cité précédemment.
L’incroyable
assuétude des « Asker Ellil » -« soldats de la nuit » ou « de
l’ombre »-, cour de jeunes gens et véritables chevaliers servants qui
assuraient la protection d’Habiba M’Sika, après ses prestations scéniques…
semble avoir évolué au cours de ce siècle. Chacun sait que le Tunisien est doté
de cette prévenance et de cette courtoisie envers les femmes : Jalila
Hafsia a savouré la même obligeance de la part de son « fan club »,
masculin et féminin.
Tous Asker Ellil confondus… |
Sa
mission de fourmi ouvrière auprès des femmes l’a fait surnommer « soldat
de l’ombre », dans la mesure où jamais, elle n’a cherché à se mettre en
avant. Magnifique legs qui lui prodigue bien des égards ! Reste que la
tradition de l’ombre subit les avatars des coteries intégristes bien moins
recommandables. Mais ceci n’est qu’un fourvoiement de l’histoire… une courte parenthèse,
n’en doutons pas.
Un article de Monak
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Sur le sujet, lire
aussi :
Voir !
- « Kibarouna invite Jalila Hafsia épisode 01 (30-12-2013) » sur « Telvza Tv - www.telvzatv.com ». Si vous ne comprenez pas la langue, c’est le moment de vous faire des amis tunisiens…
- …mais aussi de découvrir au bout de ce lien, la personnalité étonnamment vive et toujours aussi dynamique de Jalila Hafsia :
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