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mardi 23 octobre 2012

La face Hakka du melting-pot polynésien


Jimmy Marc Ly

Jimmy Ly vient de me faire savoir par blogues entrecroisés combien il avait été ému par mon article précédent. Combien l’avait surpris « la justesse de l’analyse d’une popa’a (peau blanche, non originaire) n’ayant jamais vécu en Polynésie ».

Le malicieux sourire de Jimmy M. Ly
L’objet du délit, son recueil de nouvelles 2006, intitulé : Histoires de feu, de flamme et de femmes

Juste pour le fun, je ne manquerai pas l’occasion ici d’en rajouter un peu.

De  l’esprit, des esprits aussi
De l'esprit ! De l’esprit à revendre, en discrètes touches, chez l’auteur Jimmy M. LY. Toute la narration se déroule en finesse. L’art de l’allusion s’y négocie comme au sommet d’un château de cartes. Rien ne viendrait perturber ce fragile équilibre, ni heurter les lecteurs issus des différentes communautés qui peuplent Tahiti.

Dans le temple chinois de-Papeete...
Mais le piquant de l’histoire, c’est cette navigation entre réalité cruelle et intrusion du fantastique, rationnel et superstitions. De nombreux esprits hantent Histoires de feu, de flamme et de femmes : noces pluriethniques qui ne sont pas sans étincelles !

Un parcours dans le monde mystérieux des différentes spiritualités qui cohabitent en Polynésie. Le récit, lui, les fait se solidariser ou se concurrencer … à la manière des humains.


Des rencontres : spectres, anges féminins croisés au Mayanna* mais aussi personnalités éthérées, incendiées aux feux de l’amour. Nez à nez avec sa propre mort, le personnage s’éclipse. Il n’y volette pas de feux follets, mais ceux de l’Apocalypse nucléaire du Pacifique*, comme une menace.


Le livre de tous les esprits !

Tout ce petit monde s'entrecroise avec un brin d'humour.


Nouvelles de l’immigration Hakka
Les nouvelles de Jimmy M. Ly puisent leur source au cœur de l’exode des lettrés et guerrier hakkas, « devenus les plus pauvres des pauvres ».

Ce cinquième livre de l’essayiste et nouvelliste est un perpétuel va-et-vient entre les habitudes et les rites communautaires qui se côtoient en Polynésie. Ils peuvent se résumer rapidement ainsi : l’administration est française, carrée, vrombissante quand elle décolle pour Mururoa. L’année du Dragon (1987), dans la communauté chinoise Hakka prédit les incendies d’octobre. L’exorciste Ah Foui se frotte au tahua (guérisseur) ma’ohi. Le pasteur à sa mort.

Pérégrinations Hakka
De Chine, on pénètre, sur ces terres insulaires, par paquebot, avec les maigres bagages embarqués mais surtout la photo du promis de Mui Fong (Fleur de Pêcher).

« Un de ces endroits mythiques où, selon les légendes, poussaient les pêchers de six mille ans et dont les fruits qui donnent la vie éternelle ne sont réservés qu’au seul plaisir des yeux » (p.53)

On y découvre l’univers des coolies, du commerce et des plantations, de la marine et des dockers : le petit monde besogneux ; mais aussi celui de la jeunesse dorée des sixties.

 

Nouvelles de l’intégration  

Avec ce contenu très ouvert sur les aspects variés des sociétés qui s’y imbriquent, on peut se demander pourquoi l’écrivain publie alternativement à compte d’auteur et dans les maisons d’édition polynésiennes depuis 1996. Ne figure-t-il pas au fronton des littératures polynésiennes ?


Une présence comme une ombre… marché de Papeete
D’ailleurs, Jimmy M.Ly n’a-t-il pas été co-fondateur (en 2002) et collaborateur occasionnel de la revue Littéramaohi, Ramées de Littérature Polynésienne ?

Ce livre s’inscrit en plein dans la récente histoire de la Polynésie, même s’il n’y fait que des allusions rapides, sauf pour les manifestations incendiaires de 1987. Recueil de nouvelles métissées et étirées dans le temps, il vogue du siècle dernier à la veille de notre ère.

S’y mêlent événements et naufrages, mais aussi superstitions :

- où les esprits du marae* interviennent plus ou moins favorablement

- où le pasteur s'entretient avec la mort sous l’allure d’une vieille femme tenant un « panier marché ».

 

Nés ou pas sous le signe du cheval de feu

Et l'auteur s'amuse avec les signes, les mots, les noms symboliques de ses personnages.


Le nouvel an chinois à Tahiti

Si elles sont filles elles sont femmes de tête… mais vouées à la malédiction par le fait même. L’amour d’un fa’amu* et c’est la sanction du suicide : « la fin définitive de ses tourments ».


Et commente l’auteur : « les drames sentimentaux des jeunes générations d’il y a 50 ans semblent ne plus concerner celles du 21ème siècle, débarrassées des contraintes traditionnelles de la communauté hakka qui semblerait se fondre et entrer en osmose avec l’atmosphère ambiante ».


Jusqu'à l'illustrateur, Jean Charles Hyvert, qui en rajoute, avec ses croquis, sur l'épaisseur du songe, l'évanescence du trait, ce monde en demi-teinte.


Le gardien du tempple

"Toute ressemblance avec des personnes ou des événements connus ne serait évidemment que pure coïncidence" souligne Jimmy M. Ly à la fin de chaque nouvelle... ou presque.


La fleur de feu du Pacifique remplaçant celle du Pêcher Chinois ou du Tiare Ma'ohi.


La sagesse du conte ?  

Les nouvelles sont menées comme des contes. Délicatement, tant dans le choix des mots que dans leur propos : jamais d’expressions triviales ; des euphémismes ou des ellipses pour atténuer la résignation, la souffrance, la mort.


La cruauté des situations ancestrales communautaires quelque peu estompée, ainsi que les tabous, les nouvelles jouent sur les proverbes hakka ou ma’ohi qui les annoncent. Mais la morale n’y est jamais présente. Pas de leçon à donner.


Au lecteur de se positionner. Ou comme l’auteur, de les déjouer par l’ironie, la taquinerie.


Notes :
* Mayanna : boîte de nuit ouverte dans les années 60
* Apocalypse nucléaire du Pacifique : lire CEP (Centre Expérimental français du Pacifique)
*marae : temple ancestral ma’ohi (pour en savoir plus, cliquez ici)
*fa’amu : adoptif

 

 

Un article de Monak


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