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dimanche 23 février 2020

Films d’impact au FIFO


Destins maori et aborigène...


             L’actualité des peuples colonisés d’Océanie s’avère toujours aussi scandaleuse. Qu’ils soient Mélanésiens, comme dans "Ophir", Māori ou aborigènes, leur sort reste précaire, voire insoutenable. Les réalisateurs de documentaires, eux, font œuvre salutaire et tentent de désenclaver les populations en danger : tablant sur la visibilité du FIFO dont l’audience ne cesse d’augmenter dans le monde. Parviendront-ils à impacter sur l’irresponsabilité ou la surdité des pays ou des monopoles économiques dominants ?


            Salué au 17ème FIFO par le 1er Prix Spécial du jury, "Merata : How Mum Decolonized the screen", de Heperi Mita, reprend dans son titre les paroles mêmes de la réalisatrice Māori néo-zélandaise : « décoloniser l’écran ». Dans le dernier quart du XXème siècle Merata Mita exerça en pionnière le métier, en actrice aussi, dans une société qui écarte et se désintéresse de ses autochtones.

Mère cinéaste et fils
           Mais ce n’est pas seulement le cinéma māori qu’elle libère de l’exclusif de ses prédateurs, c’est la planète-Femme qu’elle affranchit des pratiques archaïques qui la domestiquent et la ligotent. Tout comme une pléthore de pays océaniens, issus de différentes colonisations venues de l’Occident, la situation discriminatoire de l’époque, évoquée dans ce long-métrage documentaire, ne semble pas vraiment résolue.  La question du racisme « se manifeste de façon moins dangereuse ; elle est plus larvée, plus insidieuse. Elle se matérialise dans les institutions, au niveau des capitaux, des fonds qui pourraient appuyer la création culturelle et être attribués à la création Māori. Une sorte de racisme économique en quelque sorte… » nous expliquera le réalisateur Heperi Mita.

Les entendre pour les comprendre
Construit à partir des bobines tournées par Merata, à la fois sur  les mouvements de libération des femmes et les inégalités sociales : leur engagement résolument politique n’a pas toujours bonne presse et lui valent quelques menaces… musclées de la part des services d’ordre. Innovatrice en la matière, elle a été soutenue par le milieu du cinéma Māori « qui l’a aidée à révéler son talent ». Notamment dans le film de fiction (Mauri, 1988). Elle reste, à ce jour, la seule cinéaste māori à avoir réussi à en produire un.

C’est que le racisme institutionnel de la Nouvelle-Zélande, le sexisme qui touche toutes les communautés, elle les combat au corps à corps, dans des documentaires résolument militants.

Femme et mère : une antinomie ?

Où que vous soyez, la mentalité patriarcale ou populaire désigne la femme comme figure nuisible de la mère. D’un côté la mère, couverte d’enfants. De l’autre la femme couverte de chaînes. Merata, elle, est femme accomplie dans son travail et dans sa fonction de mère. En témoignent ses enfants et « l’équilibre familial, le surplus affectif, l’attention dont elle a su nous combler. »

« Bien sûr, nous sentions que son métier lui causait quelques soucis. Mais elle nous prenait avec elle. Pour nous c’était un jeu… et surtout l’occasion de passer plus de temps avec elle. » Le réalisateur parle surtout pour ses frères aînés qui ont subi la pression sociale la plus forte, alors qu’elle élevait seule ses enfants. 

Heperi Mita… l’intime fait le buzz
« Petits, nous n’avons pas compris les enjeux qu’elle défendait. C’est en recherchant, en analysant ses films, que j’ai décidé de lui rendre hommage. Elle est partie si soudainement… Elle nous a appris qui nous étions, notre identité fortement niée par le pays. et puis moi, je n’ai pas subi ce qu’ont enduré mes frères. » En enquêtant auprès de sa fratrie, le réalisateur peut mettre en avant la personnalité chaleureuse de sa mère. «  Elle a su privilégier aussi ce cocon familial qui les a rendus heureux… et solidaires ». Mère et cinéaste, une dualité compatible, quoi qu’en pensent les esprits chagrins, moralisateurs ou sexistes. Un destin riche et enrichissant pour ses enfants et le cinéma.

Ce n’est pas seulement un devoir de mémoire auquel répond Heperi Mita. Il montre l’impact de Merata dans l’histoire du cinéma néo-zélandais. Elle provoque une réelle révolution dans l’image cinématographique du pays : elle arrache la place due aux réalisateurs autochtones… Le cinéma māori ne cesse de se développer depuis, avec plusieurs festivals autochtones. « C’est elle qui les avait lancés ! »

"Je veux juste être moi, un aborigène"

Dans la même veine intimiste, c’est-à-dire autour des liens affectifs familiaux, mais surtout à travers une situation vécue de l’intérieur où les institutions font office de décor, le FIFO programme en compétition "In My Blood it runs", de Maya Newell. Encore une de ces réalisatrices étonnantes (tout comme certains réalisateurs d’ailleurs) que le FIFO a conviées. Dans les deux films de cet article, ce qui est présenté, c’est le point de vue des enfants : Dujuan, Aborigène de dix ans. Motivée par « le désir de changement social », la réalisatrice a montré « ce que c’est qu’être enfant dont la sombre histoire coloniale de l’Australie pèse sur les épaules et qui navigue dans un monde bi-culturel complexe »

Une communauté, un enfant....

« Au moment du tournage, 100% des enfants en détention juvénile dans le Territoire du Nord étaient autochtones. En Australie, de jeunes enfants de dix ans, comme Dujuan, peuvent être incarcérés. Ainsi, le plus grand défi de ce film était de soutenir la famille par crainte que leur enfant se retrouve dans ce système de détention. À plusieurs reprises, nous avons pensé que nous ne pourrions pas terminer le film en raison de l'issue horrible possible. », explique Maya Newell. Encore un documentaire qui s’inscrit dans le genre film d’impact, avec campagne de sensibilisation. Car c’est toute une éducation à refaire, au niveau des institutions !

L’aberrante réalité est la suivante : nous suivons Dujuan « à travers un système éducatif à l’occidentale qui n’est pas conçu pour lui, un système de protection de l’enfance menaçant de l’éloigner de sa famille, un système de police et de justice pour mineurs qui piège et torture les jeunes. » Est-ce la raison pour laquelle Maya Newell forge ainsi la forme de son discours cinématographique de manière originale ?

« Combattre les stéréotypes négatifs enracinés » qui réduisent les enfants aborigènes à « des échecs scolaires », alors que leur culture  est occultée ou dénigrée, n’est pas tâche facile. Dujuan « veut récupérer l’espace intérieur qui a été et est toujours colonisé et qui lui revient de droit – dans sa terre, dans son corps et dans son esprit »

Des voix aborigènes
Est-ce la dure réalité que vit l’ensemble des peuples autochtones d’Océanie qui pousse les réalisateurs à développer une éthique qui prône l’altérité dans leur travail et « à servir de pont à ces voix pour atteindre les spectateurs » ?  À quand un biculturalisme à part entière ?


Un article de   Monak et  Julien Gué

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