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vendredi 15 février 2019

16è FIFO, Justice !


De zoos et d’autres…

       S'il fallait définir la session 2019 du FIFO à Tahiti, admettons et à juste titre, qu’elle est devenue l’espace des revendications océaniennes : le Grand Prix en est la preuve. Le documentaire, avec le sérieux de ses informations, le choc de ses images a rempli sa mission de tribune médiatique, face au monde qui l’ignore.
 
  
« Justice ! » est l’appel que lance l’Océanie, sur tous les fronts. « Justice climatique », dans l’immédiat : elle dépasse les cris d’alarme, lancés précédemment et restés sans réponse. Le déluge est en cours, il se nomme montée des eaux. Les  « réfugiés climatiques » ne sont plus une prévision de savants fous, mais la réalité que porte à l’écran Matthieu Rytz dans Anote’s Ark, l’Arche d’Anote. En effet, Anote (Tong), ex-président des Kiribati, porte à bout de bras sa république, œuvrant  pour la solution ultime du transfert des populations, les pieds dans l’eau de l’océan.

Un grand-prix emblématique
“Justice historique” invoque l'Océanie : quêtant la réhabilitation du soi-disant “sauvage”, dans sa pleine et entière dignité d’être humain, quand le mythe du “monstre cannibale” justifiait la supériorité ethnique et la conquête coloniale des grandes puissances occidentales, à coups d’exhibitions foraines. Ce n’est pas tâche facile et Pascal Blanchard, co-réalisateur avec Bruno Victor-Pujebet de Sauvages, au cœur des zoos humains, ne le sait que trop ! Contesté pour avoir décrypté le langage d’une trop longue époque (1810-1940) et en avoir déballé l’idéologie rampante, qui contamine encore les sociétés d’aujourd’hui.

« Justice sociale, économique », réclame l'Océanie : pour tant de minuscules îles, tributaires du système coercitif de la mondialisation. « Justice culturelle », proclame l'Océanie :  pour avoir été trahie par les critères, les exactions, les manipulations de certains ethno-voyageurs qui refusent de renverser leurs perspectives, mais s’accaparent les biens sacrés et les dépouilles  de leurs hôtes. « Justice identitaire », supplie l'Océanie: pour le 3ème genre et les minorités.

Au pire du réchauffement climatique

L’Arche d’Anote, Anote’s Ark, n’est pas celle de Noé. Elle n’est pas accompagnée des bénédictions des tout-puissants de la planète. Les îles coralliennes des Kiribati,  loin de pouvoir exploiter une quelconque activité industrielle, paient les pots cassés des monopoles pollueurs de la planète.

            La voix d’Anote pour la survie de son peuple et de sa culture, n’est pas vraiment entendue par les instances  internationales. Son combat ne dérange pas outre mesure les aventuriers des industries fossiles. C’est aujourd’hui, et demain est déjà trop  tard.

“Justice climatique !”
Désespérant que de voir deux atolls inoccupés, déjà engloutis… et la lutte pour la consolidation des rivages habités par des sacs de sable, tient du mythe de Sisyphe.  Restent les pays environnants comme asiles, la Conférence des Nations Unies sur le changement climatique (2015) se montrant inapte à résoudre la crise ! Quant aux tribulations du réalisateur, ceci est une autre histoire.

Au pire du racisme...

Étonnant que les pays dits "civilisés”, aient reproduit, malgré les écrits sur la tolérance de Montesquieu et de Voltaire (in Candide, le Nègre de Surinam, 1579), ces marchés de la « monstration » si populaires au Moyen-âge ! Ces pervers plaisirs de cour qui enchantaient nos monarchies  enfin déchues par la révolution. Bien des penseurs ne l’avaient pas admis, même dans le contexte de "la peur de l’Autre", qu’il soit étranger ou difforme. Décrypter le langage de l’opinion publique, Pascal Blanchard n’a pas eu tort de le faire, même s’il a été controversé sur ce point. 
Rappelons tout de même qu’à l’origine de notre langue, le "monstre", c’était celui que l’on "monstrait (devenu montrait ensuite)", comme une bête de foire. Pour rassurer le quidam de ses grandes peurs : celles de la naissance, de la mutilation, de la femme-sirène, de la bisexualité refoulée… de l’anomalie (nain, bossu, bouffon de cour, géant, infirme…). Le discours religieux l’avait entériné depuis longtemps, avec les ethnies bizarroïdes (noires, voire albinos !), estampillées sataniques ou  descendants maudits de Caïn, de Cham ou des filles d’Eve…

A l’ère de la Révolution industrielle et scientifique, pouvait-on accepter de telles superstitions, sauf pour défendre une politique d’expansion coloniale ? L’infériorité ethnique, joua à plein son rôle dogmatique. Ahurissant tout de même que ce soit la Reine Victoria qui, la première (1885), ait interdit « les exhibitions de phénomènes humains, pour immoralité » ! Et si le documentaire ne relate pas la curiosité que suscita le Tahitien Omaï à la cour d’Angleterre, c’est qu’un siècle plus tôt, la donne se serait posée autrement. Entre autres figures de ces déportations lucratives : le Kanak Marius Kaloïe et… la cage aux singes du Bronx pour pas mal de victimes.

“Justice historique !”
Ils l’ont fait ! Ils ont osé, de 1810 à 1940 ! Ils ont étalé leurs fantasmes exotiques en orchestrant la représentation de nos semblables, arrachés de leurs terres natives, dénudés, gesticulant, forcés de se nourrir de viande crue, mimant des scènes de cannibalisme dans  des ménageries glaciales ! La révolution des mentalités n’a pas vraiment eu lieu, celle du "triple décentrement ", proposée par le structuralisme anthropologique de Claude Lévi-Strauss qui déclarait en 1955 : « car les voyages nous montrent finalement… notre ordure lancée au visage de l'humanité ».

Documentariste, un métier sans repos...

Pour les réalisateurs de documentaires, la passion d’informer prime sur des conditions plutôt précaires. Soit vous avez votre propre tremplin de diffusion, soit vous dépendez de producteurs et de diffuseurs qui vous imposent leur format, leur correctifs, leur budget, soit vous êtes en butte aux autorités locales ou judiciaires. Vous risquez l’intermittence, évidemment. Sachant que les heures de préparation, d’écriture ne sont en rien comptabilisées… « à vot’ bon cœur, M’sieurs’Dames ! des Médiathèques et des Festivals documentaires ». Donc, très peu de liberté créatrice et en dehors des plates-formes télévisuelles, peu de visibilité.

Où passe donc le documentaire d’auteur ?  Libre d’écriture, celui qui ne rentre pas forcément dans le moule préfabriqué des systèmes de communication audiovisuelle attendus. Le documentaire paraît souvent conforme à un genre prédéterminé. Ce qui devient lassant, tant leur structure est mondialement standardisée.

La porte du virtuel, une réalité ?
L’Océanie, monde multiple, ne possède-t-elle  pas en elle, sa propre façon de se raconter ? Ne génère-t-elle pas  des modes singuliers, fondés sur ses propres critères culturels et la rencontre avec un réalisateur dont les points de vue se conjuguent avec la réalité, avec les modes d’expression spécifiques des êtres qu’il contacte ? Des symbioses à l’infini, en quelque sorte. Des conjonctions de sensibilité… L’avenir pourra-t-il le dire ?


Un article de  Monak

         Tous droits réservés à Monak & Julien Gué. Demandez l’autorisation de l’auteur avant toute utilisation ou reproduction du texte ou des images sur Internet, dans la presse traditionnelle ou ailleurs.



lundi 11 février 2019

16ème FIFO, palmarès


Fenêtre-sur-courts


Je raffole de cette appellation "Fenêtre-sur-courts", tant elle me rappelle "Fenêtre sur cour" d'Alfred Hitchcock, le suspense, le désir des voyeurs que nous sommes... Longue attente du coup, pour vous en faire partager le palmarès, à la toute fin du festival.

"Prix du meilleur court-métrage documentaire" décerné à Aprila de Rohan Radheya (Papouasie occidentale) : la récompense d’un engagement exemplaire de la part du réalisateur, journaliste de surcroît, l’invisible Radheya Rohan, militant de la liberté d’opinion dans son propre pays, à ses risques et péril. J’en profiterai pour livrer aussi mes impressions sur le primé de la "10ème nuit de la fiction" :  Undiscovered  Country de Tyson Mowarin (Nouvelle-Zélande). Que d’émotions !

Des jeunes en mal de vivre…dans "Undiscovered Country"
Encore  une fois, et pour sa 16ème session, le FIFO nous immerge dans le contexte des îles d’un océan, pas vraiment “Pacifique”, aux velléités voraces. L’Océanie n’est plus le continent insubmersible, certains archipels en subissent déjà le contrecoup. L’environnement à la fois géopolitique, naturel et humain, se trouve bien malmené. Entre dérèglements sociétaux, convulsions politiques et coercitions socioéconomiques, des pans de culture sont vouées à l’agonie. Que de ravages en perspective !

Aucune "île flottante" à l’horizon, tirée par le va’a* mythique...  Le FIFO réussira-t-il à ouvrir l’œil du monde sur les populations insulaires, exclues, précarisées, en voie de réfugiés climatiques, nomadisant sur leurs petits cailloux ?

Journalistes otages

Personne n‘en parle dans le monde, les journalistes étrangers, persona non grata en Papouasie comme sur l’ensemble du territoire indonésien : le black-out est médiatique. Pire, les journalistes papous sont les otages de groupes de pression, harcelés par les services de sécurité, les indépendantistes, des anonymes, des concernés, des taupes.

Alors comment exercer, surtout quand la situation politique s’enflamme ? Comment éviter les menaces et les représailles  quand l’information se trouve acculée à passer par le filtre même de l’autocensure ?

Un prix hautement gagné
            Radheya Rohan mène son documentaire Aprila à travers le prisme d’une cascade de mises en abyme où la jeune journaliste, témoin d’affrontements sanglants, s’isole puis se terre. Avec des images choc, le réalisateur poursuit sa mission d’information. Il ouvre des brèches intimistes sur la raison de vivre du métier. Le tout, en 18 minutes !

Le pays inexploré...

La couleur est aborigène, oui. Du thème, à la production Weerianna Street Media, des acteurs dont feu Balang.E.Lewis au réalisateur, Tyson Mowarin. A quel dérivatif pire que l’alcool les jeunes peuvent-ils s’adonner quand ils sont exclus de fait, de l’Australian Way of Life ?

En une pérégrination dans le bush, digne d’une marche forcée disciplinaire, ou d’une retraite au désert style prophète avant le choc de la révélation, Undiscovered Country conduit les graines de révoltés, la génération de demain, à se réapproprier spirituellement leurs terres d’origine.

La leçon des aînés
           Se transcenderont-ils pour transfigurer leur lendemain? Toujours est-il que cette graine d’acteurs ne passe pas inaperçue !  Une parabole des temps nouveaux pour un rituel d’initiation des plus modernes.

Du racisme ordinaire

Le FIFO exhumant à foison les pans de l’histoire ou les ethnies minoritaires d’Océanie, il me paraît intéressant d’évoquer un autre court-métrage poignant de la section Fenêtre-sur-courts : Tama Uli – Tales of Time. 

Serait-ce une malédiction qui poursuit immanquablement les descendants des esclaves noirs pour qu’ils soient encore exclus de leur terre de détresse. Victimes du "blackbirding ou merle noir" au début du 19ème siècle, ces razzias qui sillonnaient le Pacifique pour coller les captifs dans les plantations ou les mines du Pacifique…

L’océan de larmes : Tama Uli
Aux Samoa, lieu de tournage, lieu d’histoire, les Tama Uli, les Noirs et leurs descendants subissent cette exclusion, héritée d’autres temps, d’autres idéologies d’humiliation et se perçoivent comme les « plus pauvres des pauvres ». Jusqu'à quand ?


Un article de  Monak

Va’a* : pirogue à balancier


             Tous droits réservés à Monak & Julien Gué. Demandez l’autorisation de l’auteur avant toute utilisation ou reproduction du texte ou des images sur Internet, dans la presse traditionnelle ou ailleurs.



dimanche 10 février 2019

16ème FIFO, aux antipodes

Prisons, tabous, encore


Ainsi que le pressentait Carl Aderhold, président du jury 2019, à la séance inaugurale du FIFO, le rendu des documentaires, sur des thèmes similaires est vraiment diversifié. Le chapitre des réfugiés clandestins qui embrase à flots l’Occident, ne présente pas plus d’apaisement en Australie.


 La courte fiction Run Rabbit signée Robyn Paterson (Nouvelle-Zélande), montre le décalage entre la norme communément admise et les failles insoupçonnées, les séquelles inévitables affectant tout réfugié de guerre : analyse psychologique de l’exil par le biais d’une parabole. Rien à voir avec Island of the Hungry Ghosts où la facture du documentaire de Gabrielle Brady pointe le spectre du silence qui entoure le camp de rétention de l’Île Christmas à environ 1 500 kms des côtes de l’État d’Australie-occidentale. Horreur assurée ! Les rescapés de la mer y sont incarcérés sans aucun ménagement et sans issue de secours. Troubles mentaux, hébétude, automutilations, suicides succèdent aux émeutes.

Carl Aderhold, au Petit Théâtre
           Sur 136 km2 de superficie, dont environ les deux-tiers, occupés par un parc national, le site est protégé pour les millions de crabes rouges en transhumance, les accès balisés par les gardes-forestiers. Le camp est cadenassé. Le cadre est posé pour Island of the Hungry Ghosts.

          Alors, que les ONG en dénonçaient les conditions inhumaines (précarité, insalubrité, séparation des familles, mauvais traitements, et gel des démarches administratives), le Centre  transfert les migrants sur le sol australien, en octobre 2018, après 17 ans d’une politique drastique en matière d’immigration. « L’enfer » murmure-t-on… 

Entre réel et au-delà

            La réalisatrice australienne Gabrielle Brady joue sur les contradictions et les similitudes entre nature/culture, extérieur vaste/intérieur clos, mouvement/prostration pour donner un sens métaphorique à une réalité sordide, la baigner d’atmosphère phobique et morbide… Qui sont ces fantômes affamés (Hungry Ghosts) : les crabes essaimant mécaniquement comme des robots, les gardiens implacables, les demandeurs d’asile égarés avant de disparaître ? La première clé est livrée avec le rituel asiatique du même nom, pratiqué par les locaux pour se concilier les esprits errants de leurs ancêtres privés de sépulture.

         La lourdeur des silences intervient alors pour matérialiser le système aveugle auquel sont soumis indéfiniment les immigrés illicites. La détérioration mentale, cette lourde transformation des détenus trouve son parallèle avec la mutation saisonnière des crustacés. Chacune des étapes conduisant vers l’irrémédiable disparition. Un univers pris dans une sorte de huis clos dont personne ne réchappe.

Protéger les crabes ou les réfugiés ?
            Les séances de thérapie, pratiquées par Poh Lin, n’entament en rien la régression des patients qu’elle tente de suivre, quand ils ne s’évaporent pas inexplicablement. Le Centre n’étant accessible à aucun visiteur, seule subsiste la logique inavouée d’un système pervers de lente élimination. Le personnel est tenu au secret sous peine de représailles. Haute sécurité ? Sujet tabou ?

Entre mythe et pouvoir

 Marks of Mana, un film à l’esthétique très poétique : pour l’image, le rythme, les voix. Que vous aimiez ou non le tatouage, la réalisatrice samoane Lisa Taouma procède par magie pour vous faire décoller dans la beauté. Un petit coup de baguette et la surface de l’eau se pare de signes, de pictogrammes : fins, purs, simples traits d’encre que vous retrouverez incrustés sur la peau.

 Tatouages de femmes, par des femmes, pour elles seules. Ce n’est pas seulement la légende racontée, puis chantée par les femmes qui vous charme… Si le texte est incantatoire, les images ont cette même délicatesse du conte : un malentendu entre deux déesses ou comment expliquer l’hégémonie du masculin en matière de tatouage, un peu partout dans le Pacifique ? Tabou ? Comment admettre qu’aux Fidji, à Samoa, en Papouasie, la tradition du tatouage féminin, le rituel des tatoueuses perdure ? …Avait-il vraiment disparu ?

Desseins de Femmes
 Rite de passage, marque identitaire lié au cycle du sang... symbolisme et mana, de quoi  supporter la douleur d’une certaine écorce de citronnier, paraît-il. En tout cas, un documentaire où le temps est suspendu…

Un public averti

           Il est certaines matinées hard au FIFO où l’exil devient un casse-tête douloureux, nommé disparition de l’espèce. Il en est d’autres plus soft… De quoi se ressourcer dans le bonheur de vivre, si caractéristique à l’Océanie… quand les problèmes de territoire, d’égalité, de droits humains, d’exclusion et de menaces environnementales ne viennent pas troubler sa quiétude.

En cette matinée où les thèmes portaient sur l’identité, la liberté du genre, la réhabilitation du tatouage marquisien, Patutiki, après son interdiction au début du 19ème siècle, l’heure est à la survie culturelle. Les spectateurs étaient venus en nombre pour voter : aficionados, spécialistes et tatoués…

Quand le tatouage n’est plus tabou
Et le prix du public échut à Patutiki, l’art du tatouage marquisien, de Heretu Tetahiotupa et Christophe Cordier.


Un article de  Monak

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samedi 9 février 2019

16ème FIFO, dernières


L’apothéose
   
     S'il fallait choisir une matinée bien bouleversante, ce serait par hasard celle qui réunit, dans la programmation du FIFO, les films de la résilience : il faut bien en convenir, l'Océanie, malheureusement frappée de traumatismes majeurs, récents ou en devenir... opte pour le vivant.  La sublimation artistique, le panache des survivants, l'élégance des vaincus. Figures marquantes ou anonymes où puiser "la force des lendemains .

Du portrait aux héritiers, l’impact émotionnel est foudroyant. Demandez à ma voisine de siège, qui me livrait ses impressions, entre chaque visionnage, les yeux pleins de larmes. Trois documentaires gravés dans la sueur, la peur et le sang. L’identité culturelle loin des démarches mercantiles, l’identité éthique avec le saccage environnemental dans ses dimensions géographiques et sanitaires, l’identité politique : « être soi, chez soi » (Jean-Marie Tjibaou).

Gurrumul Yunupingu et Michael Hohnen
Il faut dire qu’avec Gurrumul (Australie), compositeur aborigène, le temps se mesure à l’aune de l’expérience du passé et de l’apprentissage du présent ; The Dome (Australie), situé à Runit (Îles Marshall), sa calotte de béton effritée, n’est que le témoin d’une arnaque au nucléaire ; Au nom du père, du fils et des esprits (Nouvelle-Calédonie), l’histoire récente de la légitimité Kanake face à la « violence légale ».

Mais que personne ne s’inquiète, le FIFO se poursuit après le palmarès : ce samedi jusqu’à 22 heures, ateliers compris, et ce dimanche, avec les coups de cœur et les primés du 16ème FIFO. 

Gurrumul, à fleur d'échos

Signe d’authenticité, le musicien, prématurément disparu en 2017, lot hélas trop fréquent des autochtones australiens, détaché de tout accommodement carriériste, ira puiser l’inspiration dans son village natal de Galiwin’ku, au large de la Terre d’Arnhem. Ce n’est pas un demi-million d’albums vendus qui l’aurait fait changer sur ce point. Mais sa rencontre avec le contrebassiste Michael Hohnen, son alter-ego télépathique de Skinnyfish Music, qui l’a poussé aux limites des correspondances interculturelles.

« Paysages sonores », âme d’un peuple, d’une vie s’intègrent dans des compositions saisissantes et véritablement originales, tirant des instruments classiques des sonorités évocatrices, qui puissent toucher autant un public traditionnel qu’universel.


Un petit détour musical
Le réalisateur Paul Williams a su en concrétiser des images fusionnelles, tout en s’attachant à la personnalité exceptionnelle du musicien aveugle de naissance, aux talents et à la voix fabuleuse. Le documentaire livre aussi les problématiques liées à l’infirmité, quelle que soit la communauté d’origine  et leur résolution inaccoutumée.

The Dome, à fleur de peau

L’aberration et la manipulation des population par l’impérialisme des grandes puissances n’est pas un slogan révolutionnaire. Après leur indépendance (1990), les Îles Marshall en paient encore le tribut au prix fort. Les co-réalisateurs, Ben Hawke et Mark Willacy exposent sans concession les conséquences des expérimentations nucléaires de la moitié du 20ème siècle.

Non seulement les populations insulaires irradiées par « la neige nucléaire » d’un essai raté, mais encore la contamination des militaires américains, largués sans protection, pour nettoyer le site et en enterrer les déchets sous leur fatal dôme.


"The Dome” jusqu’à quand ?
Sauf que, la montée des eaux commence à submerger les constructions érodées, que les nettoyeurs ne sont pas pris en charge par leur gouvernement (secret-défense) et que les habitants ne reverront jamais leurs îles d’origine. Le documentaire-catastrophe d’une disparition en cours.

Tjibaou, à fleur de coeur

Etrange, que cette quête du père dans Au nom du père, du fils et des esprits… Le fils donc, Emmanuel Tjibaou, que nous avons entraperçu au FIFO, solitaire, nus pieds sur le paepae, décalqué, ému… nous fait découvrir de l’intérieur, la figure emblématique du leader indépendantiste kanak Jean-Marie Tjibaou dont l’œuvre fondamentale est encore palpable dans la Nouvelle-Calédonie d’aujourd’hui.

Des images d’une violence insupportable : celles de l’inégalité, de la répression, de « la légitime défense anticipée », des massacres et de l’assassinat du leader (4 mai 1989). Celles de la non-violence, déjà vouée à l’échec sans « le soutien » des médias, du bouleversement d’un certain Michel Rocard, de la Nouvelle-Calédonie rêvée…


Tjibaou au FIFO
Personnage-clé du documentaire…  Emmanuel recompose le puzzle d’une enfance traumatisée par la mort du père, éprouvée par les menaces effectives sur la maison familiale, et qui tente de combler par cet hommage l’amnésie imposée par la douleur.


Un article de  Monak

          Tous droits réservés à Monak & Julien Gué. Demandez l’autorisation de l’auteur avant toute utilisation ou reproduction du texte ou des images sur Internet, dans la presse traditionnelle ou ailleurs.


jeudi 7 février 2019

16ème FIFO, visiteurs attendus


Des lycéens,des réalisateurs,des médias
   
     Le 16ème FIFO continue d'agrandir sa famille, de part et d'autre de l'écran. Tandis que les bus scolaires déchargent leur contingent, le paepae Henri A Hiro, digne symbole de la culture mā'ohi, joue l'hôte, conjointement avec les équipes du Festival et de Te Fare Tauhiti Nui. Accueil du jury au grand complet, discours de bienvenue et présentation officielle devant la presse écrite et audiovisuelle.



Les dés sont jetés. Walès Kotra (Nouvelle-Calédonie), grand-père fondateur nous glisse une jolie formule dont il a le secret :  « …des mots et des images pour dire qui nous sommes ». Il citera, dans une autre intervention « le continent invisible » de J.M.G. Le Clézio*. Et nous espérons que ce Nobel de Littérature viendra un jour prochain traîner ses bottes au FIFO. 

La pause lycéenne
          En cette matinée du 1er jour officiel, les présentations tous continents alternent…  Quelques chiffres aussi : avec le score l’an dernier de 19 000 spectateurs abordés dans les îles polynésiennes, sans compter le Hors-les-Murs Curieuse impression, la presse locale se garde d’intervenir.

Les séances exclusivement scolaires sont lancées : 7500 jeunes spectateurs attendus. Déjà, pour certains, « les glaciaires défilent », la journée s’annonce "chaude", dans tous les sens du terme…

Des lycéens, pourquoi ?
Une bonne partie des lycées squatte les salles obscures du premier visionnage au dernier. L’atmosphère s’inscrit sous le signe de l’humour avec la petite phrase du présentateur FIFO : « Je vous remercie de ne pas m’avoir écouté ! » Parmi eux, 80 élèves du Lycée agricole d’Opunohu (Moorea) : « Les 1ères horticulture, 1ères vente, 1ère aménagement, 1ère STAV (bac technologique) ainsi que les élèves de 1ère année de BTS DARC (développement de l'agriculture des régions chaudes) », me confie l’une de leurs enseignantes, Christelle Desmet.

Un certain animateur, cool...
 
Spécialiste en éducation socioculturelle, ce n’est pas une journée de repos, jusqu’au bateau de retour où elle « distribue le questionnaire » du ressenti qui prépare la suite de la sortie. Elle sera exploitée dans le cadre de « l’éducation aux médias », sera analysée « en tant qu’expérience concrète pour comprendre les étapes de la réalisation d’un projet ». Le Projet d’Animation et de Développement Culturel implique les acteurs culturels locaux  et privilégie l’éducation à la communication, « interpersonnelle et médiatisée ».

Cristelle Desmet au cœur d’Opunohu
Au programme « également, le FIFO, les enjeux économiques, culturels et sociaux d’un tel festival en Polynésie ». Du pain sur la planche ! Mission éducative initiale accomplie, au Grand Théâtre où ils étaient répartis, avec leurs accompagnateurs (Cf. Marie Le Lausque), les élèves ont montré leurs capacités d’intervention vis-à-vis des réalisateurs présents : questions fines sur le contenu des films,  remarques perspicaces, problèmes de société, esprit d’à-propos… A noter la conscience des impératifs de l’organisation jusqu’aux détails techniques, relevant : « Trop de basses dans la sono de la salle ».

Des lycéens, comment ?
Un public de scolaires au top de la bienséance et du savoir-vivre. Réactif, prêt à la détente et au cocasse des situations. Il est vrai que Papouasie, expédition au cœur d’un monde perdu, n’en manque pas et alterne sérieux et gags ordinaires. Un public curieux, attentif à la moindre virgule, qui ne s’en laisse pas compter, exprime son ressenti et expose ses attentes.

Marie Le Lausque... un certain FIFO

Avec le réalisateur d’Opanipani, prisonnier à Tahiti, Jacques Navarro-Rovira (JNR), le dialogue a été constructif et instructif. On se serait cru à une véritable conférence de presse, avec questions qui dérangent et opinion inclue. D’abord le bien-fondé du sujet : auquel JNR répond par « un sentiment d’utilité… l’enjeu d’une réhabilitation humaine des exclus… un autre regard sur la condition de détenu… » ; ensuite, sur les conditions du tournage, et les questions indiscrètes : « condamnés pour quelle faute ? », « secret professionnel » ! la peur vis-à vis des "peines lourdes" ? « l’objectif protège ! »

Le réalisateur aux prises avec l’inconnu
Là, les questions venaient d’autres lycées, m’a-t-on dit : « Pourquoi n’avoir pas filmé les femmes ?» - «Elles ne le voulaient pas.» Et surtout, la question-piège du lycée Gauguin, à propos du commentaire-off final : «Pourquoi  sortie "fatidique", dans le sens étymologique de fatale, irrémissible ? », « dans le sens d’important, de déterminant », conclut JNR.

Parlons détention...

Le documentaire de Jacques Navarro-Rovira s’appuie sur la mission du service pénitentiaire dont les prises de parole en soulignent bien l’objectif, la réinsertion. L’accent est mis sur le caractère traumatisant de la privation de liberté et l’abus de pouvoir des fortes têtes… vu la promiscuité du centre de Nuutania (la pire des prisons de la République). Mais aussi, avec le transfert vers le nouveau pénitencier de Taputu, la politique de réhabilitation et de dignité.

Des conditions maintenant caduques des captifs pour longue peine au présent de la plus moderne des centrales, la page est tournée sur la "cage pour animaux", même si la réclusion s’avère être un passage redoutable et éprouvant.

Marine, du Lycée Rapooto (Tahiti)
           Même si Jacques Navarro-Rovira affirme « garantir la neutralité par le filtre de l’objectif », ce qu’il fait très bien, le spectateur, lui, ne peut réprimer ses émotions. Cadres étroits, gros plans et plans extrêmes, plongées et contre-plongées nous immergent dans la personnalité du détenu, son vécu, sa souffrance. Marine, du Lycée Raapoto en est encore toute retournée. Merci JNR de nous apporter un autre regard. Merci, j’ai bien pleuré.


Un article de  Monak
 
 
*« Le Prix Nobel de littérature 2008 a été attribué à l'écrivain français Jean-Marie Gustave Le Clézio pour son œuvre, inspirée par les thèmes du voyage, de l'exil et de la nostalgie des mondes premiers… L’Académie a expliqué avoir voulu récompenser un « écrivain de la rupture, de l’aventure poétique et de l’extase sensuelle, l’explorateur d’une humanité au-delà et en-dessous de la civilisation régnante » 


*Une partie de l’œuvre de Le Clézio, étant le sujet de ma thèse. "Raga, approche du continent invisible" (2006), témoignant de l’engagement de l’écrivain avec ce genre de phrase lapidaire : car les îles du sud «furent le rendez-vous des prédateurs et le fourre-tout du rêve»...  je ne saurais que rêver sa présence au FIFO.



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