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vendredi 22 décembre 2017

“ Pīna'ina'i 7.17 “



L’amour en liberté

Je n’aurais pas voulu quitter cette saison sans répercuter l’écho suscité par Pīna'ina'i. Cette création artistique polynésienne, signifiant elle-même échos, Résonnances… propose un sommaire gourmand d’images et de sonorités, mises en bouches et en corps sur le « paepae* a Hiro » de la Maison de la Culture à Papeete.

Petit aperçu de PINA'INA'I 7 17
Pour sa 7ème édition, Pīna’ina’i 7.17 plonge dans la littérature autochtone actuelle. Sur les compositions de Jeff Tanerii, avec le musicien Frédéric Rossoni et la voix de Taloo dans une version tahitienne de L’Aigle Noir*, le bilinguisme trame ses accents. Une étonnante conjonction entre les auteurs et orateurs de Littéramā'ohi et leur concepteur et chorégraphe Moana’ura Tehei’ura, une nouvelle édition fait date.  

Moana’ura Tehei’ura, concepteur et chorégraphe
Puisant dans les arcanes de la « littérature polynésienne engagée », ce récent spectacle en coud et en découd avec l’amour. Pas de sacralisation, pas de mièvrerie : les affres, les douleurs, les orgasmes et les trahisons s’y succèdent en toute impertinence, désinvolture et impudence. Carcan, dépendance et tyrannie s’opposent à délivrance, affranchissement et volupté.

Fulgurant comme les torches qui l’annoncent et le bouclent, ce bref moment de poésie, de saynètes jouées ou dansées, ne manque ni de piquant ni de pathétique. Le spectateur désarçonné en redemande.  

un spectacle engagé
Avec le fil conducteur de l’amour au quotidien, tel qu’il est galvaudé par l’indifférence ou l’excès, réduit à sa plus simple expression instinctive, à ses illusions, ses avortements, tel qu’il se positionne jusqu’au-boutisme passionnel, douloureux ou sacrificiel, il s’adresse à une série de partenaires autant qu’à des valeurs ou à des entités, sans faire l’impasse sur ses dévoiements.

Entre textes et figures
La multiplicité des auteurs, ils sont une quinzaine, a le mérite de montrer la profusion des points de vue, voire leurs divergences. S’il fallait le souligner, la production littéraire polynésienne se porte bien. Elle n’est pas policée, explose dans un panel de propos, de formes réalistes, symboliques, de sensibilités et de tons : à la fois originaux, inattendus, éclectiques et riches en fantaisie, sans être cependant de même teneur, ni de même qualité. L’apocalyptique côtoie le plaisir, l’effroyable, le rassurant.

Bribes de textes
De la ferveur à l’altruisme, du badinage à l’idolâtrie, elle entonne les gammes de l’animosité, du désamour, de la détestation, sans omettre la rancune et l’abomination. Car l’amour n’excuse pas tout, ni la malveillance, ni la trahison, ni l’inceste.  Écrire est une responsabilité et ne se contente pas d’idées toutes faites.

Teiva Manoi, l’orateur et sa terre…
C’est ainsi que les auteurs accusent les travers de la société, inculpent certaines pages de l’histoire politique dont les conséquences irradient encore le vécu. Entre dérision, lyrisme, érotisme, déchirement et virulence, la parole polynésienne s’exhale… et se proclame.

La langue des corps
Le chorégraphe semble procéder d’un cérémonial qui imprime sa mesure à la succession des séquences. C’est de la profondeur de la terre polynésienne, des sentiments d’appartenance et de la culture qui en découlent qu’il fait émerger ses images. En fils du fenua*, il ancre sa mise en espace dans une gestuelle liée fondamentalement à la relation ancestrale à la nature, au mode de vie de la plupart des îliens.

Où la danse se dit…
Entre banian tutélaire et sable du paepae, il se tient à une épure de signes élémentaires que sont les pétales, les linges, les cordes, le feu, la simplicité du costume des danseurs et le lait de coco. Fertilement transformés, ils marquent les fêlures : le drap devient linceul, la récolte pluie de larmes, le lacet licol, le pieu sexe, le suc sperme, etc.

Chlotilde Grand, auteur et voix, avec Hinavai Raveino & Hitihiti Tehei'ura
Primant le magnétisme des images-clés, ses tableaux vivants sont infirmés de brefs frissons déconcertants : ingénuité ou approximations filtrent ces tranches de vie cruelles ou burlesques, ces enclaves prosaïques ou mouvementées. De facture contemporaine, sa chorégraphie fait appel à l’expressivité des danseurs, et des orateurs dont le déplacement est cadré, parfois esthétisé. Le tout baigne dans une sensualité qui ne se pose pas de limites. Cet aspect fusionnel est à la fois troublant et saisissant.


Une bouffée d’air !
Grand merci à tous les artistes de l’écriture, de la parole, de la danse de nous avoir offert cette page qui nous titille les sens. La crudité de certains textes ou de certaines interprétations nous rassure sur la liberté d’expression, en cette période où les têtes tombent du côté de la Métropole. Mais évidemment ceux-là ont un rapport à la guillotine que nous ne pouvons leur envier !



(Cliquez sur la légende pour voir la vidéo)

La provocation est au rendez-vous, tout comme l’excentricité. Et j’en raffole. Des clins d’œil qui déconstruisent les poncifs de l’image web. La réalité du corps, ses côtés fous et obscurs, une belle leçon d’humanité que vous nous apportez. Une bouffée d’air frais que les compromis n’atteignent pas.

Le drame de l’amour
Des mots qui ne mâchent pas nos maux ! Une prestation que la sobriété n’épuise pas, …car, dans nos consciences, elle continue de faire son « chemin », ainsi que l’évoquait déjà Chantal Spitz…  



NB : Moana’ura Tehei’ura, auteur (entre autres textes) de l’adaptation de l’Aigle Noir en reo tahiti, Te Manu Rātere, s’exprime ainsi sur son choix :
« En respectant au mieux les images de la chanson originale, mes paroles font référence à l’oiseau migrateur qui nous a largué la bombe nucléaire, tout en nous faisant miroiter "des essais propres".
Finalement, l’évocation de l'inceste est bien présente dans les deux versions, puisque dans notre cas, la Mère patrie a violé notre peuple de manière incestueuse en lui imposant ces essais mortifères : causant un nombre important de morts fœtales ou de prématurés, touchant beaucoup de femmes de mon entourage. »

Un article de Monak

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* paepae : plate-forme en pierres. Les anciens construisaient ces plates-formes comme soubassement de maison, pour pratiquer le tir à l'arc, comme parvis de marae, etc.
* Hiro : cf. Henri Hiro, l’empreinte du poète guerrier, dont un texte figure dans le spectacle.
*Fenua : île, pays, territoire, terre, séjour des humains.