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lundi 5 décembre 2011

Un portrait d’avenir de Lotfi Dziri


La tunisianité ? Qu’est-ce ? 


L’acteur, scénariste-dramaturge Lotfi Dziri, souvent vu sur grands et petits écrans de Tunisie et d’ailleurs, est-il représentatif et peut-il s’entretenir du Tunisien contemporain ?

C’est la question que ne se pose pas le citoyen lambda qui fait souvent l’amalgame entre la personne humaine et les rôles qu’assure l’acteur. Mais en Tunisie, à part un petit groupe qui joue les starlettes, la plupart des gens du métier (dont les plus talentueux)  ne sont pas atteints par le virus de la starisation. Le fait touche davantage les chanteurs au label oriental et appartenant au circuit lucratif.

Lotfi Dziri tourne "Tounsy Alèch w Kifèch ?"
Sauf que la scène s’est déplacée sur le terrain politique et que les nouveaux politiciens se prennent pour les vedettes du système, dans une confusion qu’ils entretiennent.

Le premier film de Lotfi Dziri semble porter le débat de la « tunisianité » au cœur de l’ensemble du pays. « Conçu et réalisé comme un road movie, durant l’été 2011, Tunisien Comment et Pourquoi ? » est-il l’expression d’un analyste ou d’un activiste ?

Est-il œuvre d’un individu isolé ? L’artiste est pourtant censé exprimer la voix des autres. Ou celle d’une collectivité ? Le contenu serait la réaction du petit peuple, des provinces paupérisées,  l’« empreinte éthique et esthétique » est celle du cinéaste.


Tunisianité ou identité nationale ?
           
            Actuellement, il n’est pas le seul à s’interroger sur le devenir de la Tunisie. Et son statut de saltimbanque n’enlève rien au sérieux de son propos :
          « Il s'agit de l'avenir de tout un peuple, un pays qui est pris en otage par toutes les forces réactionnaires, y compris celles qui se targuent d'avoir été dans l'opposition. Je suis sûr que tu auras du mal à reconnaître ton pays », s’entretenait-il ainsi (le 26 septembre 2011) à la veille de l’élection de la Constituante.

            En effet, à la différence de certains de ses détracteurs dont les représentants du fondamentalisme et de l’ancestralité, il n’en était pas à son premier tour de Tunisie. Et le tournage de son film lui  a permis de pouvoir poser les termes de la comparaison. C’est de l’intérieur, étudiant alors,  qu’il en avait appris les rouages.  Mais c’est aussi en sillonnant le pays en tant que journaliste, qu’il se trouve à même de rendre compte des différents milieux.

             Doté d’un sérieux bagage dans les domaines liés de l’athlétisme, de la psychologie et du théâtre. Formateur (directeur d’acteur) à l’Ecole des Arts du Cinéma, quand il n’est pas dans l’exercice de ses fonctions d’acteur,  il fait partie de cette génération qui a contribué à doter les arts du spectacle de structures cohérentes de formation.

« Ceci est un film ! » (Chiraz Bou)
            Bilingue… et un peu davantage, pour s’être formé en occident et avoir tourné en Afrique, il est armé d’une culture universelle consistante, à rebours de ceux qui, dépourvus de la plus élémentaire des instructions ou éducations, s’en réfèrent à des parchemins élimés.

            Et même si son documentaire, comme nombre d’œuvres réalisées dans l’urgence de ce moment historique révolutionnaire, pèche par la précipitation du bouclage lié à l’échéance des élections, il n’a pas manqué l’essentiel de la cible : la parole du pays face au « bourrage de crâne » entretenu pas le retour des récupérateurs de fausse morale.

           Un témoignage du 13 juillet 2011, dans une station-service, corrobore ce qui est dit plus haut :
           « Reconverti en prédicateur-racoleur improvisé… sa mission consiste à collecter des dons mais aussi à exhorter les gens à l'amour de Dieu…: la discipline Nahdaouie, dont la tactique est envieusement des mieux conçues, constitue l'idée-force de ce parti islamiste… ses manœuvres insinuantes, son aptitude logistique incroyable financées par des magnats anonymes, mercantis de religion, offrant plus de services que ce parti n'en demande.»(X)


Tunisien Comment ?

          Qui est donc le plus représentatif de la tunisianité en ce moment ? Les membres des confréries qui font du prosélytisme pour des tenues vestimentaires, des habitudes de ségrégation sexiste (à l’école), des exclusions ou des lois venues d’ailleurs ?

          Lotfi mène, dès les années 90, une carrière cinématographique où il choisit réellement les sujets qu'il traite. Et souvent ce seront des films qui poseront un problème de société ou certains des tabous auxquels la Tunisie de la dictature était confrontée : l’homosexualité dans Le Fil, film de Mehdi Ben Attia (2010) ; la montée de l’intégrisme dans Making Off (2009) du réalisateur Nouri Bouzid. 

Lotfi Dziri et Lotfi Abdelli dans "Making Off"
         Il ne se met pas à son avantage mais au service de l’intention de l’œuvre. Dans les rôles d’Abdallah (Making Off), de Rahman dans Deadline de Ludi Boeken et Michael Alan Lerner (Beyrouth 2004), du père, dans Keswa, Le Fil Perdu  (1997) de Kalthoum Bornaz, ce sont de véritables questionnements politico-éthiques qui sont posés. Avec la plupart des grands du cinéma tunisien qui l’ont pressenti, comme Ibrahim Letaïef pour Visa (2005), ou par leur successeur comme Raja Amari, il marque l’image, il prend le risque.

         La filmographie tunisienne dont il fait partie n’a pas manqué de lucidité et même de vision prémonitoire. Et Le Sacre de l’Homme réalisé par J. Malaterre pour la TV (2007) fonctionne à contre courant de ce retour à la violence préhistorique que connaît l’agora du Bardo (Palais de l’Assemblée Constituante).

           Le rôle de Uhru semble revenir en force, dans la réalité où des enseignantes universitaires sont molestées par une bande de fanatiques.
      
           Le dernier film de J-J. Annaud, L’Or Noir (2010-2011) se tournait encore dans le Sud en pleine révolution, comme si la fresque du passé s’inscrivait sur un fond autrement culturel, à en croire la Vidéo Débat Black Gold.


Tunisien absolument !

           S’il faut résumer la position de Lotfi Dziri, il suffit de prendre la moitié du titre de son film : « pourquoi signifie : pour quelle identité et pour quel projet ? De quel côté sont les forces vives du pays ? ».

           Car si le film est sorti avant le 23 octobre, il n’a pu parvenir à l’IMA (Institut du Monde Arabe) à Paris, avant la date fatidique. Tout acte culturel avait été ralenti par le gouvernement provisoire pour de faux prétextes revendicatifs des foules. De même aucune politique artistique n’est avancée et Lotfi en dénonce la propagande négativiste.

Affiche de "ViSa" de Ibrahim Letaïef
           Au 3 novembre, alors que son film établissait un « état des lieux super-fidèle » il  invalide « le super bluff d’une assemblée qui ne représente que 14% des Tunisiens ».

           En fait, Lotfi Dziri revendique une Tunisianité qui « ne peut se confondre avec un Tunistan, ni admettre d’ayatollah ». Il  semble conforté dans l’avis que, dans toute son histoire, le Tunisien ne se laisse pas « faire et trouve les moyens de se mobiliser ». Entre deux pages de roman en phase d’écriture, en toute conscience des enjeux déterminants pour la suite, le 29 novembre, il publie une invective destinée aux « frères putatifs du dictateur que le peuple a chassé. »

Lotfi Dziri sur le tournage de "Tunisien, Pourquoi, Comment ?"
Et pour achever sur une note créatrice que seule peut imaginer la finesse d’un artiste :
« Je suis loin d'être seul et nulle agonie ne nous fera mourir »...


Un article de MonaK



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